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réunir le 29 avril, la composition définitive du ministère sera connue au moment où ces lignes seront sous les yeux des lecteurs.

Laissons donc là ces questions de personnes, bien qu’elles aient leur importance, puisqu’elles contiennent les germes de la rapide dissolution qui attend la nouvelle majorité; examinons quelle sera la situation du cabinet libéral.

Rien n’est plus caractéristique et plus facile à comprendre que la vive satisfaction qui s’est manifestée à Saint-Pétersbourg dès que l’on y a connu la victoire inespérée de l’opposition. Cette victoire en effet, met fin à la triple alliance qui, sans être écrite sur aucun parchemin, existait de fait entre l’Angleterre, l’Allemagne et l’Autriche pour assurer l’exacte et complète exécution du traité de Berlin. Cette alliance, limitée à l’accomplissement d’engagemens internationaux auxquels toutes les puissances avaient participé, était une garantie de paix pour l’Europe en enchaînant l’action de la Russie et en ne permettant pas de raviver le feu mal éteint de la question d’Orient. Le Golos s’est empressé de faire observer qu’à l’exception d’un seul, tous les auteurs de ce traité qui a détruit les espérances du panslavisme étaient tombés du pouvoir l’un après l’autre. Le comte Andrassy avait suivi dans la retraite le comte Corti et M. Waddington ; c’était maintenant le tour de lord Beaconsfield ; il ne restait plus que M. de Bismarck pour défendre l’œuvre commune. On se flattait donc à Saint-Pétersbourg que le traité de Berlin n’aurait pas meilleure chance que ses auteurs, et que celles de ses dispositions qui ne sont pas encore exécutées passeraient peu à peu à l’état de lettre morte. Si l’Angleterre, revenant avec M. Gladstone à la politique de non-intervention, se désintéressait de ces questions, quel cabinet entreprendrait d’exercer une pression sur la Russie.

Le désappointement et les appréhensions qui se sont manifestés à Vienne peuvent être considérés comme la contre-épreuve de la satisfaction qui a éclaté à Saint Pétersbourg. S’il fallait prendre les sympathies exprimées par M. Gladstone à l’égard du panslavisme, les accusations dirigées par lui contre l’Autriche et ses vœux pour l’indépendance de toutes les populations slaves comme le programme du nouveau cabinet anglais, le gouvernement autrichien devrait se préparer à de prochains embarras. Il ne faut pas perdre de vue en effet que la Russie peut, quand elle le voudra, réveiller la question d’Orient. Quelles difficultés surgiraient immédiatement si la Russie réclamait en faveur des chrétiens des provinces d’Europe, dont la condition n’est pas encore réglée, des garanties équivalant à l’indépendance, et si elle mettait les membres du nouveau cabinet anglais, et M. Gladstone particulièrement, en demeure d’accorder