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à donner l’assurance que le changement de ministère n’implique pas et n’entraînera point une brusque réaction dans la politique extérieure ; il exprime aussi la confiance que le futur cabinet sera assez fort pour ne pas être soumis à la direction et à l’impulsion d’un seul homme. Il est manifeste que cette déclaration vise M. Gladstone, et les complimens dont elle est précédée ne lui ôtent rien de sa signification. Ce n’est un secret pour personne qu’une des causes de la chute de M. Gladstone, en 1874, a été le mécontentement des anciens whigs, qui trouvaient que le premier ministre avait fait des concessions trop nombreuses aux radicaux et qu’il leur laissait prendre une trop grande part d’influence. Or, pendant le cours de la lutte électorale, M. Gladstone n’a retiré aucune des opinions qui avaient alarmé ses amis politiques ; il a laissé voir plus clairement que jamais la prédilection qu’on lui connaissait pour le suffrage universel, et loin de revenir sur aucune des promesses qu’il avait pu faire aux radicaux, il a pris moralement de nouveaux engagemens vis-à-vis d’eux par les vues qu’il a exprimées sur un assez grand nombre de questions. Les radicaux sont d’autant plus disposés à réclamer la réalisation des espérances que M. Gladstone leur a fait concevoir, que leur nombre s’est fort accru et qu’ils peuvent revendiquer une grande part dans le succès des candidats libéraux, par la propagande qu’ils n’ont cessé de faire au sein des classes ouvrières sur lesquelles les whigs n’ont aucune action. Déjà, l’on s’attend à voir deux radicaux, sir Charles Dilke et M. Fawcett appelés à des sièges dans le cabinet : si la santé et les goûts de M. Bright lui permettaient d’occuper une place, on s’empresserait l’aller au-devant de ses désirs : on a même cherché s’il ne serait pas possible de trouver un poste pour M. Chamberlain, malgré ses opinions ouvertement républicaines; enfin, il n’est pas douteux qu’un certain nombre de situations secondaires, qui ne donnent point entrée au conseil, seront offertes à des radicaux moins en évidence. Une administration, composée de tels élémens et qui aurait M. Gladstone à sa tête, pourrait-elle être considérée comme le ministère libéral modéré que lord Hartington a réclamé et dont la Revue d’Edimbourg a esquissé le programme?

Sur le conseil de lord Beaconsfield, la reine a fait appeler ensemble lord Granville et lord Hartington ; ces deux hommes d’état paraissent avoir fait connaître l’impossibilité où ils se trouvaient de rien tenter en dehors de M. Gladstone, et avoir levé les objections de la souveraine contre leur ancien chef. Au sortir de l’audience royale ils ont eu une longue conférence avec M. Gladstone, qui s’est rendu, à son tour, auprès de la reine. Il est revenu de Windsor avec la mission de former un cabinet. Le parlement devant se