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M. Gladstone n’était-il pas premier ministre depuis près de cinq années lorsque, dans l’unique intention de diriger de plus près l’application d’un plan financier qu’il avait conçu, il retirait à M. Lowe et reprenait pour lui-même les fonctions de chancelier de l’échiquier? Un esprit aussi entier, aussi absolu dans ses idées, accepterait-il d’être exclu de toute participation directe aux affaires et de donner des conseils qui ne seraient point suivis ? Un seul homme, par la force de sa volonté et sa grande autorité personnelle a pu tenir M. Gladstone en bride; c’est lord Palmerston; et encore était-il obligé de faire la part du feu en laissant à son irascible collègue le champ tout à fait libre en matière de finances. Pour croire que M. Gladstone se résignera à un rôle aussi effacé, il faudrait avoir perdu le souvenir du joug de fer qu’il a fait peser pendant cinq ans sur ses collègues et de l’obstination avec laquelle, malgré les conseils de ses amis et la résistance du parlement, il a supprimé, de sa seule autorité, l’achat des grades dans l’armée. Simple député, M. Gladstone brisera la majorité; ministre, il brisera le cabinet, s’il n’y est le maître.

Est-il possible, cependant, de faire un premier ministre de l’orateur intempérant qui, sans souci des hautes fonctions qu’il avait occupées et de l’importance qui s’attachait à chaque mot tombé de sa bouche, s’est laissé emporter aux écarts les plus regrettables; qui a parlé du gouvernement turc en des termes qu’on oserait à peine appliquer à une bande de malfaiteurs; qui a insulté et menacé l’Autriche, et dirigé contre l’empereur François-Joseph une imputation à laquelle l’ambassadeur austro-hongrois par ordre exprès de son gouvernement, a donné un démenti officiel? Les sympathies que M. Gladstone a hautement avouées pour l’affranchissement de tous les Slaves, la correspondance qu’il se fait honneur d’entretenir avec les révolutionnaires de tous les pays, les adresses de félicitations que lui font parvenir les comités panslavistes ne sont-elles pas des faits de nature à créer des difficultés diplomatiques? N’a-t-il pas été établi que, dans une conversation avec M. Castelar, M. Gladstone a déclaré n’avoir point d’objection de principe à la restitution de Gibraltar à l’Espagne, et ce fait, rapproché de la cession des îles Ioniennes à la Grèce, qui fut son œuvre exclusive, ne justifie-t-il pas les défiances d’une partie de l’opinion?

Au point de vue des affaires intérieures, les objections ne sont ni moins nombreuses ni moins fortes. Ce n’est pas sans intention que lord Hartington a dit et répété à diverses reprises, dans ces derniers jours, qu’un ministère libéral modéré est seul possible en ce moment. La Revue d’Edimbourg, qui est demeurée l’organe des hommes les plus importans du parti libéral, vient de consacrer un article au développement de cette thèse. L’auteur ne se borne pas