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la nature humaine incline plus volontiers à la censure qu’à l’approbation, les masses électorales se laissaient gagner.

Hâtons-nous de dire, toutefois, que M. Gladstone n’eût pas obtenu le même succès s’il n’avait pas trouvé le terrain aussi bien préparé. La crise que l’Angleterre traverse depuis bientôt quatre ans touche probablement à son terme et on commence à entrevoir des jours meilleurs, mais les souffrances n’ont encore rien perdu de leur intensité. L’industrie du fer a seule retrouvé quelque activité : toutes les autres continuent à languir. Les ouvriers, après une lutte qui a épuisé les ressources de leurs associations, ont dû accepter une réduction d’au moins 10 pour 100 sur les salaires : la gêne extrême qu’ils éprouvent s’est traduite par une diminution de 20 pour 100 dans la consommation du vin et des spiritueux : leurs achats n’alimentent plus le commerce de détail, qui ne se soutient que par des crédits chèrement payés. Quant à l’agriculture, l’année la plus calamiteuse que l’Angleterre ait traversée depuis 1816 est venue épuiser les ressources des fermiers, déjà éprouvés par trois mauvaises récoltes successives : foins, blés, avoines, pommes de terre, tout a manqué à la fois, pendant que les importations étrangères avilissaient le prix du bétail et de toutes les denrées. Il a fallu demander aux propriétaires du sol des remises et des réductions qui n’ont pas toujours été accordées. Rien ne dispose à changer de médecin comme la souffrance. Combien d’esprits superstitieux, à voir cette succession de mauvaises années, n’ont-ils pas dû croire le ministère poursuivi par une malechance obstinée ? Combien, sans rendre le cabinet responsable des intempéries des saisons, se sont laissés aller à l’idée d’essayer d’un autre régime ? Combien, à force d’entendre M. Gladstone censurer la politique financière de ses successeurs, en rappelant qu’il avait laissé le trésor plein et qu’il avait projeté la suppression de l’income-tax, ont dû se dire qu’après tout, l’homme qui a la réputation d’être le premier financier de l’Angleterre, pouvait bien avoir un secret

Pour vendre le blé cher et le pain bon marché ?


C’est en vain que sir Stafford Northcote a fait observer que le ministère avait allégé de 2 millions 1/2 de livres les charges qui pesaient sur l’agriculture, quel bienfait reçu peut lutter de séduction avec un bienfait qu’on espère ? Comment les fermiers et le petit commerce auraient ils résisté à la perspective de voir supprimer l’impôt sur le revenu?

Quand M. Gladstone, s’adressant à tous les petits contribuables, leur demandait s’ils pouvaient attendre des économies et des réductions