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personnalités et les sarcasmes : écoutez M. Lowe, qui mettrait en pièces son meilleur ami, plutôt que de ne déchirer personne. Voulez-vous une discussion grave, méthodique, où les argumens se pressent et s’enchaînent avec une inexorable logique : donnez la parole à M. Forster. Vous piquez-vous d’être un esprit pratique et de ne vous point payer de mots : qui sait plus de choses et qui les sait mieux que M. Childers ? Aimez-vous la clarté, le bon sens et le bon goût : quelle parole est plus lucide, plus mesurée, plus persuasive que celle de M. Goschen? Au-dessus de tous est M. Gladstone, qui à lui seul vaut toute une armée. M. Gladstone peut-il parler sans que les moindres mots qui tombent de sa bouche soient recueillis et publiés par tous les journaux sans distinction d’opinion et sans qu’ils soient lus de toute l’Angleterre? Ceux-là mêmes qui détestent ses opinions et qui les combattent sont obligés de le lire, ne fût-ce que pour pouvoir le contredire. Quelle puissance que cette parole retentissante qui éveille tous les échos des trois royaumes!

Lord Beaconsfield, qui ne craint jamais de rendre justice à un adversaire, a proclamé M. Gladstone le plus grand orateur de l’Angleterre. Ce jugement eût-il besoin d’être confirmé, que personne ne songerait à le contester, après la prodigieuse campagne que M. Gladstone vient de faire et qui a décidé des élections. Rien de semblable ne s’était vu depuis les luttes mémorables de Fox et de Sheridan contre le second Pitt.

La versatilité de M. Gladstone, la soudaineté de ses changemens d’opinion, son humeur atrabilaire ne lui ont jamais permis de contracter avec aucun collège électoral ces relations solides et durables qui naissent de l’affection et de la confiance mutuelles. Aucun homme politique n’a promené de collège en collège une candidature plus vagabonde, Il a successivement représenté l’Université d’Oxford, le bourg de Newark et une des sections du Lancashire. Aux élections générales de 1868, où son parti triompha et qui devaient faire de lui un premier ministre, il était demeuré sur le carreau, lorsque Greenwich le recueillit et le fit rentrer à la chambre. Ses amis l’avertirent au printemps dernier, qu’il ne devait pas songer à se représenter à Greenwich parce qu’il n’y serait pas réélu, et l’événement a justifié cette prévision, car Greenwich vient d’élire deux conservateurs. Il fallut donc se mettre en quête d’un nouveau collège pour que cette comète voyageuse ne disparût pas du firmament politique. On n’en trouva point dans toute l’Angleterre, car Leeds ne s’est offert qu’après la dissolution; et on fut tout heureux de se rabattre sur un collège écossais.

La représentation du Mid-Lothian semblait un apanage héréditaire de la maison ducale de Buccleuch, dont les immenses domaines