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prévenu toute compétition par une répartition préalable des sièges, calculée sur le nombre dévotes dont chaque section disposait, et les radicaux, comme compensation de leurs concessions sur les principes s’étaient fait attribuer la bonne part. Électeurs et candidats ont fait preuve de l’accord le plus parfait ; et l’on a vu à Bradford un ancien ministre qui avait refusé en 1874 de prendre aucun engagement vis-à-vis des radicaux, et qui avait dû sa réélection à l’appui spontané des conservateurs, M. Forster, se porter côte à côte avec le radical Illingworth ; à Northampton, M. H. Labouchère, héritier d’une vieille famille whig, donner la main au socialiste Bradlaugh; et à Stoke-upon-Trent, M. Woodall accepter l’alliance de l’ouvrier maçon, M. Broadhurst, le secrétaire du comité des Trade-Unions, dont le nom a figuré si souvent dans les grèves de ces dernières années.

Les espérances que le ministère avait fondées sur la réaction produite en Irlande par les écarts de la propagande autonomiste et sur l’intervention modératrice de l’épiscopat catholique ne se sont réalisées qu’en partie. Les conservateurs ont conquis un petit nombre de sièges ; mais le mouvement dont ils ont profité a servi les libéraux dans la même proportion ; pertes et gains se sont compensés. Dans plus d’une circonscription, la voix du clergé n’a pas été écoutée, et si les autonomistes n’ont pas obtenu l’accroissement de forces qu’ils avaient espéré, ils n’ont pas été affaiblis par le résultat des élections irlandaises. Ils ont pris leur revanche en Angleterre, où leurs comités ont donné l’appui le plus énergique aux candidats de l’opposition et où ils ont incontestablement fait pencher la balance dans un assez grand nombre de circonscriptions.

Dans un pays où la parole joue un si grand rôle, et où les réunions publiques exercent sur les élections une influence décisive, il ne saurait être indifférent pour un parti d’avoir des défenseurs habiles et sûrs d’être écoutés. Or, il faut reconnaître que, sous le rapport oratoire, les conservateurs avaient une infériorité marquée. Leurs meilleurs orateurs, lord Beaconsfield, lord Cairns, le marquis de Salisbury, lord Cranbrook, sont dans la chambre des lords, et l’usage leur interdisait toute intervention dans la lutte électorale. Sir Stafford Northcote, chancelier de l’échiquier, M. Cross, ministre de l’intérieur, M. Smith, premier lord de l’amirauté, sont des hommes d’affaires éprouvés, des administrateurs habiles, fort en état de défendre leurs actes au sein de la chambre des communes ; aucun d’eux n’a ce talent de parole qui suspend les foules aux lèvres d’un homme et qui commande l’attention d’un pays tout entier. Du côté de l’opposition, au contraire, les orateurs abondent, et l’on n’a que l’embarras du choix. Vous faut-il la passion, la chaleur communicative : voici M. Bright. Préférez-vous l’invective amère, les