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le tsarévitch a péri. Suivant les uns, il a fui les rigueurs de son père ; suivant d’autres, il a été mis à mort par ordre de ce dernier; d’aucuns affirment qu’il a été assassiné en voyage par des bandits. Personne ne sait au juste où il se trouve. J’ajouterai ici, à titre de curiosité, ce qu’on écrit à ce sujet de Pétersbourg. On conseille au gracieux tsarévitch, dans son intérêt, de se tenir bien caché, car on fera d’actives recherches quand le tsar son père sera de retour d’Amsterdam. Si j’apprends quelque autre chose, je le ferai savoir. On prie le bon ami pour lequel M. le comte demande un prêtre de prendre patience : c’est chose impossible pour le moment. »

C’étaient les dépêches de Pleyer, l’envoyé autrichien à Saint-Pétersbourg, que Schœnborn résumait ainsi. Cet agent à l’imagination un peu prompte informait sa cour que l’effet produit en Russie par la disparition du tsarévitch était immense, que tout s’apprêtait pour une sédition et que des régimens de la garde complotaient d’égorger le tsar en Mecklembourg. Alexis ne cachait pas la joie qu’il ressentait de ces nouvelles; son rêve de chaque jour, une révolte populaire en sa faveur, semblait près de se réaliser ; en attendant rien ne pouvait mieux le servir que les bruits qui le disaient mort ; la mort fait le silence sur le proscrit, et le silence est un meilleur gardien que la retraite la plus reculée. Le fugitif se croyait sauvé des recherches paternelles dans cette gorge ignorée du Tyrol, à l’abri des verrous, des tours, des montagnes de l’empereur romain, sous la protection de sa parole et de ses diplomates. Ces derniers allaient pourtant avoir affaire à forte partie.

Nous avons laissé Vessélovski, l’ambassadeur du tsar, cherchant désespérément la piste évanouie encore à la fin de mars 1717. Durant ces quatre mois, le burg d’Ehrenberg avait fidèlement gardé son secret; ce secret était d’ailleurs resté longtemps entre quatre personnes, l’empereur, le chancelier comte Schœnborn, le secrétaire d’état Kühl et le prince Eugène de Savoie, président du conseil aulique, directeur suprême des affaires de l’empire. Mais si rares et si impénétrables que soient les initiés, les gros mystères d’état laissent transpirera la longue, dans l’atmosphère d’une cour, certaines émanations subtiles ; un vétéran des campagnes diplomatiques les sent d’instinct quand il a le don du métier; et l’agent russe avait le don au plus haut degré. Il ne s’était pas laissé distraire un instant aux fables qui couraient sur la mort du tsarévitch: son sentiment obstiné l’avertissait que sa proie était près de lui, à Vienne ou non loin de Vienne. Longtemps ses attaques se heurtèrent aux physionomies courtoises et impassibles de la solide diplomatie autrichienne. Enfin un éclair luit dans les ténèbres