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— La naissance de la petite Nathalie, en juillet 1714, vint lui apporter quelques consolations; le retour du tsarévitch, après six mois passés à l’étranger sans donner signe de vie, lui rendit un de ces éclairs de tendresse qu’Alexis semblait rapporter seulement de ses courses lointaines. Celui-ci dura moins encore que le premier : dans l’hiver de 1715, au cours de la seconde grossesse de la princesse héritière, la séparation entre les deux époux devint irrévocable et publique. Alexis recueillit dès lors chez lui, dans la maison de l’épouse, sa maîtresse, la serve Euphrosine, qui jouera un si grand rôle dans la suite de cette histoire. Charlotte soutint avec courage cette dernière épreuve. Weber, l’envoyé de Hanovre, dit à cette date dans ses Mémoires : « Cette pauvre princesse supporte son malheur avec fermeté ; les murs seuls voient ses larmes. »

Pourtant les peines s’étaient accumulées trop lourdes sur cette enfant; elle ployait sous leur poids et ne devait plus se relever. Le 12 octobre 1715, elle mit au monde un fils qui reçut le nom de Pierre ; ce fut sa courte et suprême joie d’avoir donné un héritier à l’empire : elle le croyait du moins alors. Presque à la même heure, sa sœur l’impératrice d’Autriche accueillait avec quelque tristesse la naissance d’une fille : celle-ci devait être Marie-Thérèse. Comme le destin se jouera de ces espérances aveugles et de ces berceaux inégaux! — Charlotte ne devait plus rien à sa nouvelle patrie, ni à ce monde : quatre jours après ses couches, d’atroces souffrances la prirent et empirèrent rapidement; elle les vit croître avec sérénité, comme la délivrance des autres. Le 20, les médecins envoyés par son beau-père la trouvent sans connaissance, in mortis limine, dit leur consultation pédantesque. La mourante fut admirable de fermeté et de douceur; elle supplia qu’on laissât auprès de ses enfans, comme une seconde mère, son amie la princesse d’Ost-Frise; elle régla le sort de ses serviteurs allemands, écrivit une lettre touchante au tsar, remercia tous ses proches et pardonna à tous. Pierre, fort malade alors, se fit porter au lit de sa bru; il avait toujours été bon pour elle sous ses dehors de brusquerie et de despotisme; elle en rend constamment témoignage. L’âme forte du grand homme comprenait la résignation courageuse de cette jeune âme : il disait souvent que son fils n’était pas digne de la femme que le ciel lui avait donnée. — Quand elle eut pourvu au sort de tous les siens, elle sentit un grand calme et se retourna confiante vers la mort qui approchait. Le 21, les médecins lui présentèrent une drogue salutaire; elle la repoussa doucement, disant: « Ah! laissez-moi en paix, je ne veux plus vivre! » Dans la nuit, elle cessait de souffrir, à vingt et un ans.

Les résidens étrangers écrivirent à leurs cours que le chagrin