Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les sauvages qui a fait longtemps passer entre les mains d’aventuriers du Chili le plus clair des bénéfices des éleveurs argentins. L’endroit choisi pour asseoir l’établissement principal était digne de l’habileté des spéculateurs adonnés à ce genre de transactions. C’était une vallée fertile de 12 lieues de long sur 4 ou 5 de large, et si profondément encaissée que durant six mois de l’année elle était isolée du reste du monde, aussi bien à l’est qu’à l’ouest, par l’amoncellement des neiges. Les premiers occupans de ce beau domaine n’avaient pas dans la morte saison à se garder de leurs dangereux alliés; mais il faut croire que pendant la saison active ils n’avaient qu’une foi médiocre dans la loyauté de leurs fournisseurs, car ils avaient réuni et équipé une petite armée de trois cents hommes pour protéger contre eux les achats qu’ils leur faisaient. Il va sans dire que les chefs de la colonie s’empressèrent d’envoyer au commandant Uriburu les témoignages de leur dévoûment au gouvernement de Buenos-Ayres. On les traita bien, mais on leur laissa une garnison et des autorités argentines. C’est le noyau d’une ville : pour prospérer, elle aura d’abord à oublier ses traditions originelles.

Le corps d’occupation principal, celui qui devait s’établir à Choele-Choel, était composé des forces qui garnissaient Trenquelauquen, Puan et Bahia-Blanca; il était sous les ordres du général Roca; c’est celui dont je faisais partie. La route adoptée était celle qui avait été reconnue peu de temps auparavant par le commandant Vintter : le lecteur la connaît déjà. Le 25 mai 1879, jour anniversaire de la révolution de 1810, à laquelle la république argentine doit son indépendance, la tête de la colonne prenait possession des rives du Rio-Negro en face de Choele-Choel. Nous n’avions vu d’autres Indiens en route que les prisonniers faits sur notre droite par les détachemens chargés de battre l’intérieur du plateau que nous côtoyions. A Choele-Choel, on ne tarda point à se mettre en communication avec les corps qui agissaient à notre arrière-garde et avec le commandant Uriburu, solidement établi sur les bords du Nauquen ; les nouvelles qui arrivaient de tous côtés étaient décisives : la république argentine possédait 15,000 lieues de plus.

Conter par le menu les marches, les contre-marches et les combats qui ont amené cette conquête, ce serait forcément tomber dans des redites. La guerre à l’Indien, malgré l’ardent intérêt qu’elle inspire à ceux qui la font, route toujours, vue à distance, sur le même fonds d’incidens peu variés. Il est préférable de supprimer les détails et d’envisager les résultats de cette féconde campagne. La sécurité de ces vastes établissemens d’élevage, la possession d’un pays vierge et immense, tels sont les avantages immédiats qu’elle rapporte à la confédération argentine. Les terrains récemment