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avait ni sauvages ni soldats. Il n’y a pas d’arbre ni d’arbuste qui résiste à un pareil régime. J’en connais un néanmoins qui a trouvé un expédient, il pousse tout en racines. Au dehors, il ne présente qu’un maigre bouquet d’épines calcinées; sous le sol, il étend ses ramifications à 10 et 12 mètres de distance. Par malheur pour une plante aussi ingénieuse, les soldats en quête de bois notèrent cette particularité. Comme ces racines, où se concentre toute la vigueur de la végétation, sont plus grosses que le bras et forment un très beau combustible, ils lui firent autour de leurs campemens une guerre à outrance. Dans les plaines livrées aux troupeaux, les incendies deviennent plus rares. L’herbe, incessamment tondue, est trop courte pour les propager; mais ce sont alors les bestiaux eux-mêmes qui détruisent les jeunes arbres au moment où ils sortent de terre.


IV.

Nous pouvions dire à notre retour que la partie du désert située au sud de la province de Buenos-Ayres était nette ou peu s’en faut. En face des provinces de Gordoba et de Mendoza, la route du Rio-Negro n’avait pas été moins brillamment déblayée. Le colonel Racedo avait rayé de la liste des tribus la plus puissante agglomération de la pampa centrale, les Ranqueles; leur principal cacique, Epumer, était à Martin-Garcia, où il avait été rejoindre Catriel et le fameux Pinzen, qu’entre temps le colonel Villegas y avait envoyé. A l’extrême ouest, le commandant Uriburu avait purgé de pillards, jusqu’à 60 lieues en avant de sa ligne, les vallées orientales des Andes. L’expédition au Rio-Negro était mûre, si bien mûre qu’on n’attendit pas le printemps pour la réaliser et qu’on se mit en route en automne, au mois d’avril 1879. Il est vraisemblable qu’il y avait dans cet empressement un peu de fièvre électorale. Il ne restait qu’une année à courir avant la nomination d’un nouveau président de la république, et le général Roca, décidé à se mettre sur les rangs, voulait résoudre d’abord la question indienne. En tout cas, si l’occupation de la ligne définitive s’accomplit avec quelque hâte, on peut dire à l’honneur de ceux qui l’ont dirigée que ce ne fut pas une campagne d’apparat, que ce fut une campagne pratique. La guerre de police entre les deux frontières, plus minutieuse et moins en vue que les opérations sur le Nauquen et le Negro, ne leur fut pas sacrifiée. Elle a été étudiée et conduite avec la sollicitude que réclamaient également l’extrême importance du résultat à obtenir et les difficultés opposées, par le désert et par les distances, aux manœuvres combinées des corps nombreux qui agissaient à la fois. Les rétiniens arrivaient à heure