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et les habitans, ne serait-elle pas une charge plus lourde que la soumission des Indiens? Ces pauvres Indiens étaient si bien matés depuis quelque temps, si peu embarrassans désormais, que vraiment ils avaient presque mérité qu’on leur laissât le répit nécessaire pour mourir de leur belle mort. Pendant ce temps, la prospérité croissante de la république l’aurait mise à même de mener rondement le peuplement de ces 15,000 lieues, dont la possession théorique, en l’absence de bras pour les faire valoir, ne pouvait donner que des soucis. La réponse à ces deux objections, au premier abord spécieuses, se trouvait dans la topographie, alors très mal connue, du terrain à conquérir.

L’opinion publique, généralement faite par la majorité, c’est-à-dire par des ignorans, était passée à cet égard d’un extrême à l’autre. Au début des expéditions, au temps du docteur Alsina, une série d’incursions antérieures, toutes malheureuses, avaient fait admettre comme article de foi que la pampa était inhabitable et que les Indiens seuls pouvaient y vivre. C’est en vain que ceux qui en revenaient opposaient à une conviction aussi enracinée le témoignage, pourtant respectable, de leurs propres yeux; on les traitait de visionnaires. Quand ces visionnaires se comptèrent par centaines, il fallut bien en passer par ce qu’ils disaient. Or ce qu’ils avaient particulièrement vu, c’étaient des campemens placés dans les parties les plus fertiles du désert, dans des campagnes dont la perte avait suffi pour amener à bref délai la ruine irrémédiable des Indiens. On s’habitua sans transition à considérer la pampa sous les plus riantes couleurs. L’une et l’autre de ces appréciations sont également inexactes. S’il est peu de points où les prairies vierges ne puissent être assainies, fertilisées, domptées par le travail de l’homme, il en est peu en revanche où elles lui offrent d’elles-mêmes de quoi satisfaire aux besoins d’une tribu pastorale. En dehors de ces points favorisés, la tribu meurt de soif et de faim. Il suffisait de les bien garder pour dominer les contrées environnantes. C’était là toute la découverte du général Roca, mais elle avait sa valeur. Grâce à cette circonstance, la conquête et la surveillance d’un pays presque aussi grand que la France se réduisait au choix judicieux de quelques points stratégiques.

Il est permis de croire que, lorsque le ministre expliqua son plan devant la commission du congrès qui avait désiré connaître les dispositions adoptées par le gouvernement, celle-ci se trouva fort empêchée. Toute l’économie du système reposait sur la configuration de pays inexplorés, et suivant le plus ou moins de justesse des déductions du général dans la patiente enquête à laquelle il s’était livré, on se lançait dans une grande entreprise ou dans une grande aventure. On s’y lança, mais non sans hésitation. Au congrès,