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cence de ses ouvrages tînt bien fort au cœur de Diderot ; car il y revient encore et presque sous la même forme dans une lettre postérieure.


J’allois oublier de vous demander pardon de toutes les impertinences que vous avez lues dans mes Sallons. Soyez en assurée, madame, que je n’ai pas voulu vous manquer en aucune façon ; car j’en use avec mes ouvrages ainsi qu’avec les ouvrages des autres. La ligne bien écrite ou bien pensée, le trait d’imagination, le sentiment honnête est la seule chose dont il me souvienne et la seule que je me sois proposé de mettre sous vos yeux. Dieu lisoit un jour la vie d’un homme de bien ; c’est-à-dire une vie mêlée de bonnes et de mauvaises actions. Il avoit l’ange Gabriel à sa droite et le diable à sa gauche. Satan appuioit du doigt sur toutes les lignes accusatrices et sourioit ; l’ange pleuroit, et chacune de ses larmes, en tombant sur le feuillet, en effaçoit la ligne qui faisoit sourire Satan. Vous auriez trop pleuré si chaque sottise de mon papier vous avoit coûté une larme. Songez, madame, que c’est ma confession que je vous ai confiée ; songez que c’est moi tel que je suis, seul, portes et fenêtres fermées, sans voile et sans pudeur. Songez que je n’ai pas mis la moindre prétention à ce barbouillage ; que je n’ai rien cherché de ce qu’il peut y avoir de passable, ni rien rejette de ce qui se présentoit de mauvois ; que j’ai tout écrit sans loix, sans triage, comme un torrent se précipite, entraînant pêle-mêle des arbres, des plantes, des animaux, quelques choses précieuses couvertes de beaucoup de fange. Lorsque vous en aurez fait transcrire les lambeaux qui ne vous auront pas déplu, ce sera certainement la très petite portion de cette masse informe et la seule que j’oserois publier. Si je ne comptois pas sur votre indulgence, je serois très soucieux de mon indiscrétion. Je vous supplie de ne me pas mépriser. Ce ne sont pas les pensées, ce sont les actions qui distinguent spécialement l’homme de bien du méchant. L’humeur secrette des âmes est à peu près la même. C’est une caverne obscure habitée de toutes sortes de bêtes bien et malfaisantes. Le méchant ouvre la porte de la caverne et ne lâche que les dernières. L’honnête homme fait le contraire. Vous avez voulu entrer dans la caverne et j’y ai consenti. M. Grimm a eu l’intrépidité de laisser regarder à travers les barreaux, des hommes, des femmes, du plus haut rang ; mais cela ne me justifie pas. Si une bonne chose ne pèse pas plus dans votre balance que cent mauvaises, je suis perdu.

Quand ce manuscript vous sera devenu inutile ou fastidieux, je vous prie de le renvoyer chez moi sous enveloppe cachetée.

Mille pardons, madame, et mille excuses, je vous les demande à genoux, ajoutez à cela tout l’appareil d’une amande (sic) honorable, et puis frottez vos yeux et n’y pensez plus.