Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un rêve, elles ont eu le sort que leur prédisait M. Thiers. Parmi les partisans survivans de l’empire, les plus violens dissentimens éclatent encore aujourd’hui sous le coup de la dernière lettre du prince Napoléon sur la politique religieuse, et entre ces groupes impérialistes qui se déchirent c’est à qui cherchera dans la famille Bonaparte un prince différent pour lui décerner une couronne dont on ne dispose pas. La république a profité de tout, des déceptions monarchiques, de la mort du prince impérial, comme elle peut profiter aujourd’hui des dernières divisions bonapartistes. Les résistances mêmes qu’elle a rencontrées, les épreuves qu’elle a dû subir lui ont été utiles en l’obligeant à se modérer, à se dégager des vieilles traditions de secte, et c’est ainsi qu’elle a pu se fonder sans violences conspiratrices, sans guerres civiles nouvelles, par un certain mouvement nécessaire des choses, surtout par l’impossibilité de tous les autres gouvernemens. Elle est arrivée par degrés à avoir sa constitution, ses pouvoirs réguliers et homogènes, son président républicain, ses assemblées républicaines, ses ministères qui ont été plus ou moins les représentans reconnus, attitrés d’une majorité dévouée à la république. Elle s’est trouvée laborieusement établie, sanctionnée par le pays, accréditée en Europe, marquée aux yeux de tous du caractère d’une institution légale, en face d’adversaires impuissans. Elle n’avait plus à disputer son existence de tous les jours. Que fallait-il désormais? Rien de plus évident, c’est la moralité de ces sept ou huit années qui viennent de passer : il fallait de la bonne conduite, un gouvernement sensé et attentif, ce que les médecins appellent du régime, le régime qui aide à durer, et qui en prolongeant la durée donne des forces nouvelles. Que ce système eût été suivi pendant quelques années encore, qu’on se fût occupé dans les assemblées, dans les conseils, d’affaires sérieuses et utiles, qu’on eût évité les représailles et les exclusions de parti, la république se trouvait acclimatée comme elle a été fondée, par la modération des idées et des procédés; elle n’avait plus à craindre aucune de ces réactions qui naissent infailliblement ou des traditions violentées, ou des mœurs et des croyances blessées ou des intérêts mis en péril.

Eh bien ! on peut le demander non à des ennemis ou à des détracteurs systématiques et passionnés, mais aux amis les plus éclairés, les moins suspects de la république nouvelle, de cette république arrivée à sa seconde phase, à ce qu’on peut appeler la phase républicaine : est-ce cette politique déraison et d’intelligente prévoyance qui prévaut de plus en plus depuis quelque temps? Est-ce que la fondation définitive et incontestée du régime nouveau, au lieu d’inaugurer une ère de pacification libérale, n’a pas été comme le signal de toutes les recrudescences de l’esprit de parti et de combat, des déchaînemens de passions inassouvies, des réhabilitations mal déguisées de la guerre civile, des violences contre les institutions mêmes qu’on avait acceptées, des