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l’impossible, il nous suffira que tous les rôles soient tenus comme M. Silvain tient le sien.

Par exemple, il faudra pour arriver à ce résultat que l’on commence par perdre l’habitude que l’on a contractée, je ne sais où ni quand, de chanter le vers ou plutôt de le pleurnicher d’un ton à porter les morts en terre. L’exemple de Mlle Sarah Bernhardt y est sans doute pour quelque chose, et l’exemple aussi de Mlle Favart. Mais si la mélopée continue, si ces brusques modulations par lesquelles on passe du ton le plus élevé de la déclamation lyrique au ton le plus familier de la conversation en prose pouvaient convenir à la Nuit d’octobre, elles sont absolument hors de temps et de place dans la tragédie. « Les vers alexandrins sont réputés être prose, » comme dit Corneille et comme dit Voltaire, qui s’y connaissent. C’est donc à peine s’il faut faire sentir que ce sont des vers. Les chanter et les moduler, c’est les dire à contre-sens. De quoi pourtant les femmes ne se font faute à la Comédie-Française. L’actrice qui tient dans cette reprise du Cid le rôle de l’Infante en a bien tiré le plus singulier effet et le plus inattendu. Vous savez qu’au cinquième acte l’Infante a des stances à dire, qui sont tout à fait dans le goût de 1636 :

T’écouterai-je encor, respect de ma naissance,
Qui fais un crime de mes feux ?..

C’est justement l’endroit que Mlle Martin a choisi pour revenir tout d’un coup à l’intonation naturelle. Elle avait jusque-là bravement chanté l’alexandrin dramatique ; au cinquième acte, elle se met à parler la strophe lyrique ; elle disait le reste de son rôle sur le ton de la mélopée, ce sont ces couplets plaintifs qu’elle récite sur le ton de la prose. Signaler ce seul effet, c’est assez dire comment le personnage est tenu. Je ne parlerai pas du personnage de Chimène : je crois seulement qu’il ne serait pas facile de le jouer moins bien que Mlle Dudlay. Au surplus, il faut bien le dire, ce sont les rôles de femmes, à la Comédie-Française, qui sont pour le moment assez mal tenus. Même dans le comique, on n’a pas tout ce que l’on devrait avoir. Je n’en veux d’autre preuve que la dernière reprise du Mariage de Figaro. Mais, dans le tragique, hors Mlle Favart et Mlle Sarah Bernhardt, je ne vois pas bien clairement qui l’on pourrait nommer. Aussi n’est-il pas aisé déjà de jouer Andromaque, où Mlle Dudlay massacre le rôle d’Hermione, et je crains que l’on ne fût tout à fait embarrassé de monter Iphigénie, qui comporte trois rôles de femmes, Clytemnestre, Iphigénie et Eriphyle. Il y a là certainement quelques vides à combler.

Après tout, nous ne pourrions pas dire sans une grande injustice que les dernières reprises du grand répertoire de la Comédie-Française soient