rait la perte de bien des illusions moins tenaces que celles qu’il conserva jusqu’à la fin sur Catherine II.
Puisque le nom de Diderot revient si souvent sous la plume de Grimm, il est temps de faire entrer en scène cet illustre convive des vendredis, dont il serait assurément téméraire à moi de parler, après les brillantes études de M. Caro, si je n’avais surtout l’intention de le laisser parler lui-même. Il ne fallait rien moins que l’espèce de fascination exercée sur Mme Necker par tout ce qui jetait quelque éclat dans les lettres pour qu’elle se fût déterminée non pas seulement à recevoir, mais à rechercher un écrivain dont les œuvres licencieuses et les hardiesses philosophiques auraient dû, ce semble, lui inspirer quelque éloignement. Laissons Diderot nous raconter lui-même dans une de ses lettres à Mlle Voland, comment la connaissance se fit et comment il interpréta d’abord l’empressement de Mme Necker :
Savez-vous qu’il ne tiendroit qu’à moi d’être vain ? Il y a ici une Mme Necker, jolie femme et bel esprit qui raffole de moi. C’est une persécution pour m’avoir chez elle… c’est une Genevoise sans fortune à laquelle le banquier Necker vient de faire un très bel état. On disoit : « Croyez-vous qu’une femme qui doit tout à son mari osât lui manquer ? » On répondit : « Rien de plus ingrat en ce monde. » Le polisson qui fit cette réponse, c’est moi. Il s’agissoit d’une femme…
Et Diderot termine par une de ces plaisanteries de mauvais goût dont sa correspondance avec Mlle Voland est émaillée. Ainsi peu s’en fallut que, dans sa fatuité étourdie, Diderot ne se méprît aux marques d’un empressement qui, dans la pensée de Mme Necker, était un hommage rendu à l’écrivain. Hâtons-nous de dire que Diderot ne tarda pas à mieux comprendre et respecter la personne avec laquelle il venait d’entrer en relations, et qu’écrivant assez peu de temps après le Paradoxe sur le comédien, il l’appelle « une femme qui possède tout ce que la pureté d’une âme angélique ajoute à la finesse du goût. » Aussi ne tarda-t-il pas (et quoi qu’il en dise sans trop de persécution), à devenir un des habitués du salon de Mme Necker, où il représentait avec éclat et avec bruit la coterie des encyclopédistes. Bien que ceux-ci fussent assurément moins à l’aise chez Mme Necker que chez Mme Helvétius, ou chez le baron d’Holbach, cependant sa maison ne tarda pas à être comptée au nombre de celles où ils trônaient. On s’en émut à Genève, et Moultou se faisait auprès de Mme Necker l’interprète des inquiétudes éprouvées par les amis de sa jeunesse à la pensée que la société philosophique où elle vivait avait peut-être ébranlé sa foi chrétienne. Mais Mme Necker le rassurait par cette protestation chaleureuse :