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caractère grec ne comporte pas cette nuance : ce sont simplement des « frères » que l’on héberge en attendant des jours meilleurs.

On sait combien il est difficile en Turquie d’obtenir des renseignemens précis sur le chiffre des habitans d’une ville; aussi les renseignemens donnés par les voyageurs sur la population d’Adalia varient beaucoup. En 1811, le capitaine Beaufort évaluait ce chiffre à huit mille habitans, dont un tiers de Grecs[1]; le consul français Corancez y comptait de quinze à vingt mille âmes[2]. D’après des renseignemens plus récens, il y aurait environ vingt-six mille habitans, et sur ce nombre plus de deux cents familles grecques. Les Juifs forment une faible partie de cette population ; on trouve aussi à Adalia des Arabes qui, venus à la suite d’Ibrahim-Pacha en Anatolie, se sont fixés dans cette ville ; on les reconnaît aisément à leurs traits fins et intelligens, qui contrastent avec la lourde physionomie des Turcs.

Le commerce est presque entièrement entre les mains des Grecs, qui occupent le haut quartier de la ville. Certaines maisons grecques ont un air de confortable et même de richesse, et rappellent les jolies demeures du quartier arménien à Smyrne. La disposition intérieure varie peu et témoigne du goût très vif qu’ont les habitans pour le chez-soi. Autour de la cour intérieure, bien ombragée, plantée de citronniers et d’orangers, règnent des vérandahs et des galeries supérieures en bois découpé; ce qui donne à ces maisons une physionomie singulière, ce sont les tourelles légèrement construites en échafaudages qui occupent le milieu de la cour. Chaque maison a la sienne ; cette sorte de kiosque à plusieurs étages sert de séchoir dans la journée; le soir, c’est un belvédère commode pour contempler à l’aise la ville vue à vol d’oiseau, hérissée de minarets et de tourelles où nichent les cigognes.

Nous sommes reçus très cordialement par M. Pandéli Danieloghlou, l’un des membres les plus actifs et les plus influens de la communauté grecque. Il nous fait, avec une bonne grâce parfaite, les honneurs de son habitation et nous entretient de la situation des Grecs à Adalia. La communauté est riche et prospère; elle possède sept églises, des écoles de garçons et de filles, et envoie tous les ans plusieurs jeunes gens étudier dans les gymnases d’Athènes. Les Grecs intelligens s’intéressent avec passion à tout ce qui touche au royaume hellénique; pour eux, Athènes est comme la ville sainte; leur plus cher désir est que leurs fils puissent un jour la visiter, y

  1. Karamania, or a brief Description of the South Coast of Asia Minor, etc., 1811-1812.
  2. Itinéraire d’une partie peu connue de l’Asie-Mineure ; Paris, 1816.