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tie-Necker écrit-il un jour à propos du Système de la nature, passe sa vie avec des systématiques, mais elle est dévote à sa manière. Elle voudroit être sincèrement huguenote ou socinienne, ou déistique, ou plutôt, pour être quelque chose, elle prend le parti de ne se rendre compte sur rien. » Malgré ce dédain, Grimm fut un jour obligé de convenir que, si au point de vue théologique les opinions de Mme Necker n’étaient pas très solidement assises, elle avait du moins singulièrement à cœur de les faire respecter. Un certain vendredi, comme on allait se mettre à table, la discussion s’engagea inopinément sur un point de controverse religieuse. Blessée de quelque opinion mise en avant par Grimm, Mme Necker lui répondit d’abord avec vivacité ; puis, comme Grimm tenait bon, elle perdit tout empire sur ses nerfs et fondit en larmes devant tous ses convives un peu décontenancés. Le soir même, Mme Necker, honteuse de son emportement, adressait à Grimm une lettre où elle s’excusait de la vivacité qu’elle avait montrée, et Grimm lui répondait avec empressement :


Votre lettre, madame, m’a causé l’émotion la plus sensible comme la plus inattendue. Elle m’a pénétré, confondu ; elle m’a fait fondre en larmes comme un enfant, et mis dans l’impossibilité de tenir la plume dans le premier moment. À propos de quoi venez-vous donc exercer cet empire sur moi ? Vous me demandez pardon, de quoi ? de quelle offense ? Je vous jure, avec toute la sincérité et la vérité qui me sont naturelles, que l’idée d’un reproche à vous faire n’a pas approché de moi et ne se seroit jamais présentée à mon esprit sans votre lettre. Trois sentiments m’ont occupé en un clin d’œil. Le premier étoit de me reprocher d’avoir touché étourdiment à une corde que l’importance du moment rendoit si délicate ; le second d’aimer et d’admirer le feu avec lequel vous m’aviez arrêté au premier mot ; le troisième de me blâmer de l’émotion que je venois de vous causer involontairement, et qui pouvoit nuire à votre santé au moment surtout où vous vous mettiez à table. Jugez vous-même, madame, si j’ai pu me méprendre aux motifs de cette émotion et si l’idée d’une offense de votre part a pu approcher de moi. Le seul regret que j’aie éprouvé, c’est de n’avoir pu m’expliquer assez pour établir que, quoi que notre religion nous ordonne de croire sur sa nécessité, elle avoit une horreur invincible pour l’intolérance et la persécution, et qu’un de nos principes les plus invariables étoit de laisser chacun le maître de sa croyance et de sa conscience. La chaleur avec laquelle vous m’avez réprimé ne m’a fait sentir que l’inconvénient d’une proposition mal expliquée pour le moment. Daignez m’estimer assez, madame, pour être sûre que j’attache à ce moment la même importance que vous, et surtout daignez vous désabuser sur ce