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reproduire dans la construction nouvelle les fautes de statique de la façade primitive, c’était la vouer à une destruction à courte échéance : les vrais principes de cet art tout moderne qui s’appelle la restauration des édifices anciens condamnent ces libertés prises.

La théorie du pittoresque en art ne sera jamais définie exactement, et il y a lieu de croire que, de ces irrégularités, naissait un effet qui avait son prix. S’il est vrai que l’accent si particulier de l’architecture de la basilique résulte du bizarre accouplement des styles, d’une fantaisie singulière, d’un certain mépris des lois de la construction et des règles architectoniques, et enfin d’une extrême richesse de matériaux divers fondus par l’action du temps dans une éclatante harmonie, il va sans dire qu’en entreprenant de remédier aux outrages du temps, il fallait d’abord respecter la forme, ensuite la couleur. S’il m’est prouvé qu’il était absolument impossible de les conserver, je demanderai alors que, dans le même ordre, à la même place, suivant le même système, on emploie des matériaux de même nature que ceux qu’on remplace, laissant au temps et au même air ambiant le soin de les fondre dans l’harmonie de l’ensemble. L’effet sera perdu pour la génération qui voit s’accomplir la restauration, mais les génération futures éprouveront la même impression en face de l’édifice et n’auront point à demander compte des changemens qu’on lui a fait subir.

J’ai hâte d’arriver à la façade principale, objet immédiat de la sollicitude publique et des craintes formulées dans le mémoire au gouvernement italien. Sur ce point du moins, la situation n’est pas encore compromise, à part cependant le retour d’angle de la façade que nous venons de décrire, où l’architecte, ayant relevé d’au moins 0m, 15 tout le plan de sa base, et par conséquent d’autant la galerie au pourtour du monument, a posé les jalons de la restauration future de toute la façade principale. Si on arrivait, en examinant attentivement cette partie de l’édifice, à établir qu’elle n’exige aucune reprise, le gouvernement italien ayant déclaré publiquement qu’il a donné l’ordre de suspendre tout travail, on prendrait son parti du mal qui a été fait au nord et au sud, et, du moins, on n’aurait plus aucune crainte à concevoir pour cette magnifique décoration.

Reculons-nous sur la place et mettons-nous au point de vue, entre les deux superbes bases des mâts qui portent les étendards, bases sculptées par le Leopardi. Nous pouvons constater en effet que le parti-pris général de la façade est le même qu’en 1496, alors que Gentile Bellini peignait le célèbre tableau de l’Académie des beaux-arts. Un détail cependant nous frappe tout d’abord; les six clochetons qui séparent et qui butent les cinq arcs dont se compose