Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait pas fait un scrupule, je ne dis pas d’écrire un tel document, mais de l’adresser directement à un gouvernement étranger. On sent en effet tout ce qu’il peut y avoir de délicat dans une pareille intervention.


II.

Personne ne nie l’importance de Saint-Marc au point de vue de l’art et de l’histoire, et le manifeste, en nous représentant le monument comme une synthèse de l’art et de l’histoire du peuple vénitien, n’en a certainement pas exagéré l’intérêt. Mais il est temps de sortir des généralités et de se placer sur le terrain pratique, en examinant l’état actuel de la basilique, et en rendant un compte exact des restaurations qui ont suscité les protestations.

La basilique de Saint-Marc présente trois façades au spectateur : la façade principale sur la place Saint-Marc, celle au midi sur la Piazzetta, enfin celle au nord sur San Basso, du côté de l’horloge. Les restaurations ont porté d’abord, dès 1843, sur la façade au nord; on a repris en 1865 celle sur la Piazzetta et, au dire du manifeste, on s’apprêtait à appliquer bientôt à la grande façade, sur la place Saint-Marc, le même système de restauration. Voilà pour ce qui concerne l’extérieur; à l’intérieur, on a surtout reproché à l’administration de la basilique la substitution des mosaïques modernes aux mosaïques anciennes, et, tout spécialement, on a déploré la reprise du pavement.

Nous examinerons tour à tour chacune de ces parties, en comparant l’état actuel à l’état primitif; mais il est nécessaire, avant de procéder à cet examen, d’indiquer certaines circonstances spéciales; car il ne faut jamais oublier que nous sommes dans une ville unique, où toutes les conditions ordinaires sont changées. Le sol que nous foulons est formé de quatre-vingts îlots soudés ensemble par l’industrie des Vénètes; ce décor prodigieux d’un théâtre immense, dont la scène est restée vide, et qu’on craint toujours de voir disparaître, comme la toile de fond de quelque éblouissante féerie, est dressé sur un terrain factice ingénieusement machiné, avec des dessous et des praticables. Parmi les étrangers les plus assidus à Venise, bien peu ont pu se donner le singulier spectacle d’une promenade souterraine au niveau des pilotis et des immenses pontons qui portent la basilique de Saint-Marc et le Palais ducal. C’est, on le reconnaîtra, une question qui n’est point indifférente : lorsqu’il s’agit de construction, l’assiette du sol est pour l’architecte le premier de tous les soucis; il devra subordonner tout son système au plus ou moins de résistance que lui offrira son point