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pour expliquer que, témoin des hommages dont la vieille maréchale était entourée, il ait écrit ces lignes d’une éternelle vérité : « En France, pourvu qu’on soit opulent et qu’on porte un beau nom, non-seulement tout s’oublie, mais même on peut jouir d’une vieillesse considérée après une jeunesse des plus méprisables. » C’est qu’entre quarante et cinquante ans, la maréchale de Luxembourg avait compris que, passé un certain âge, la galanterie chez une femme devient un ridicule et qu’elle avait tourné non pas à la dévotion, car pareille conversion n’était pas nécessaire au XVIIIe siècle, non pas même à l’esprit, car, précisément parce qu’elle en avait beaucoup, elle n’avait pas besoin d’en tenir bureau, mais à la bienséance. Dans son hôtel de Paris comme dans sa maison de campagne de Montmorency (qui n’était point le château féodal des anciens barons), elle n’avait point de peine à réunir la meilleure compagnie qui venait lui demander des leçons d’élégance et de savoir-vivre. C’est là que jeunes femmes et jeunes gens faisaient leur début et que l’abbé de Périgord (le futur prince de Talleyrand) attirait pour la première fois l’attention sur lui par une de ces reparties heureuses dont il devait plus tard se montrer si prodigue. Sa connaissance des usages, sa pénétration des personnes, son esprit prompt à saisir les ridicules et à les faire sentir, donnaient un poids singulier à ses moindres jugemens. Aussi un homme qui connaissait le monde aussi bien que le duc de Lévis a-t-il pu dire d’elle :


Jamais censeur romain n’a été plus utile aux mœurs de la république que la maréchale de Luxembourg l’a été a l’agrément de la société pendant les dernières années qui ont précédé la révolution. À l’aide d’un grand nom, de beaucoup d’audace et surtout d’une bonne maison, elle était parvenue à faire oublier une conduite plus que légère et à s’établir arbitre souveraine des bienséances, du bon ton et de ces formes qui composent le fond de la politesse ; son empire sur la jeunesse des deux sexes était absolu ; elle contenait l’étourderie des jeunes femmes, les forçait à une coquetterie générale, obligeait les jeunes gens à la retenue et aux égards ; enfin elle entretenait le feu sacré de l’urbanité française ; c’était chez elle que se conservait intacte la tradition des manières nobles et aisées que l’Europe entière venait admirer à Paris et tâchait en vain d’imiter.


Puisque l’Europe entière venait admirer chez la maréchale de Luxembourg les manières nobles et aisées dont elle gardait la tradition, il était difficile à Mme Necker de ne pas solliciter l’honneur d’être présentée chez elle et de ne pas lui rendre cet hommage banal que toute jeune femme doit à celles qui l’ont précédée dans