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Mais comme il est impossible de fortifier vôtre caractaire foible, et de calmer votre agitation, il faut abandonner le projet de vous coriger et vous mètre seullement en pénitence, comme les enfants pour remplire les devoirs de l’éducation. Je vous déclare donc que si vous mécrivé encore, que non seullement je ne vous reponderai pas, mais que je ne lirai pas votre lettre, et ma bouderie sera poussée bien par de la vôtre retour.

Apres m’avoir loué sans mesure, après m’avoir dit les choses du monde les plus tendres et les plus touchantes, pour m’exprimer votre amitié vous me dite de ne vous pas repondre.

Cela m’étoit-t-il possible.

J’en appelle à M. Necker et à M. Thomas.

Mes chers amis, vous êtes des personnes raisonnables ; convené qu’elle ne l’est pas.

Et si vous la laissé écrire pendant qu’elle prendra les eaux, elles luy porteront à la tête.

Adieu, mes chers amis, c’est vous deux que j’embrasse, car pour cette belle dame, je ne luy dit ni ne luy fais rien.


Passer du salon de Mme Geoffrin dans celui de la maréchale de Luxembourg, c’est comme de nos jours se transporter d’un entresol du Marais dans un vieil hôtel du faubourg Saint-Germain. La suprématie incontestée que la maréchale de Luxembourg a exercée sur la meilleure compagnie de Paris, pendant les quinze ou vingt années qui ont précédé la révolution française, est un de ces traits qui peignent un temps et une société. Ce qu’avait été sa jeunesse, alors qu’elle portait encore le nom de Boufflers que sous le règne de Louis XIV vieilli, le courage et les vertus du vieux maréchal avaient rendu si glorieux, tout le monde le sait par le célèbre couplet de M. de Tressan :


Quand Boufflers parut à la cour,
On crut voir la mère d’Amour ;
Chacun s’empressait à lui plaire,
Et chacun…


Je n’achève pas le dernier vers, dont la brutalité valait bien le vigoureux soufflet que la maréchale appliqua à M. de Tressan lui-même, un jour que, tombant dans un piège qu’elle lui tendait, il eut l’impertinence de s’en déclarer l’auteur. Mais si M. de Tressan méritait le soufflet, il faut convenir que la maréchale avait bien mérité les vers. Les mémoires du temps, et en particulier ceux de Besenval, sont remplis d’anecdotes sur son compte, et, à supposer même que le médisant colonel des Suisses lui en ait prêté quelques-unes (comme on prête aux riches), il en resterait un assez grand nombre