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personne », par l’envoi d’un pli chargé, ce qui peut s’appeler faire la part du progrès et du budget ; — mais il a décidé en même temps qu’échevins et baillis tiendront périodiquement des audiences ambulantes ou foraines, hors du lieu ordinaire de leur siège. Grâce à ce retour inattendu à des mœurs d’un autre âge, on va revoir sans doute les plaideurs s’ajourner sur la place publique du village voisin, à l’heure de l’arrivée du train ou de la « correspondance » qui amènera ces juges pédanés, et l’antique expression : « Attendez-moi sous l’orme, » reprenant toute son actualité, cessera d’être en Alsace-Lorraine une simple façon de se moquer des gens. Ces sortes de choses ne se voyaient plus guère que dans les opérettes, mais au fond, ce n’est qu’un pli à prendre, des habitudes à changer, une éducation moyen âge à refaire. L’inconvénient serait minime si à ces restitutions bizarres ne s’ajoutaient des retours à l’antique d’une bien autre gravité et qui ne peuvent s’expliquer, de la part de législateurs faisant profession d’hommes éclairés et sérieux, que par une véritable frénésie archéologique.

Désormais en Alsace-Lorraine, comme dans l’Allemagne entière, la preuve testimoniale l’emportera sur tout autre moyen de preuve, même sur celle résultant de contrats passés devant notaire, tout comme si nous nous trouvions encore au bon temps où l’écriture était restée le privilège des clercs. Ce régime, auquel l’Allemagne retourne sans paraître en soupçonner les vices et les dangers, a été aboli en France depuis plus de trois siècles, par l’ordonnance de Moulins, de 1566. D’un autre côté, la nouvelle législation allemande n’admet et ne reconnaît, comme sûreté et garantie des conventions, d’autre privilège que celui que procurera le gage réel. Ici le législateur de la moderne Allemagne revient tout uniment au droit rudimentaire que les invasions des barbares avaient substitué à la loi romaine, à une époque de violences, où le pouvoir social, morcelé et sans force, impuissant à garantir et à faire respecter les droits et les intérêts légitimes de chacun, devait se résigner à laisser aux individus le soin de se faire justice. C’est l’application aux intérêts privés de la maxime : « La force prime le droit » et de l’aphorisme : Beati possidentes, tous deux si profondément germaniques. Visigoths, Bourguignons et Lombards obéissaient déjà il y a longtemps à cet instinct qui pousse l’Allemand à prendre des sûretés réelles, à faire peu de cas des promesses et des simples écrits, — rappellerons-nous l’article 5 du traité de Prague ? — et à ne tenir pour acquis que ce qu’il tient sous son poing. Mais on devine ce que va devenir le crédit, par ce retour aux usages d’une époque où l’autorité de la loi et la foi aux contrats n’étaient que vains mots, et comment cet instrument délicat, d’invention toute moderne, s’accommodera malaisément d’un régime n’offrant d’autre garantie à