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Ce bref résumé ne fait-il pas toucher au doigt ce que nous indiquions plus haut, à savoir l’absence de toute crise psychologique et de toute lutte dramatique, par conséquent, qui permette à l’imagination de se passionner? Sculptée dans une attitude de menace, elle ne se remue pas, elle ne vit point, cette figure d’Attila! De même en est-il de Walter, personnage d’un incroyable effacement, dont on ne comprend ni ce qu’il est, ni ce qu’il veut, — et de même encore des deux fils d’Attila, dont l’un est le bon jeune homme du temps des Huns et l’autre, le mauvais jeune homme de la même époque. Il ne reste donc enfin que le caractère d’Hildiga qui soit un peu étudié, sans que pourtant aucune analyse psychologique nous rende compte des motifs qui la poussent à agir. Il n’y a donc pas ici de pièce à proprement parler, parce que, pour que les actions soient intéressantes au théâtre, il faut qu’elles aient une signification, c’est-à-dire qu’elles soient la traduction, visible aux yeux, de crises psychologiques correspondantes, et ici il n’y a pas de psychologie parce qu’il n’y a pas d’âmes.

C’est là quelquefois un défaut que ne rachète pas, mais que peut masquer la splendeur de la poésie lyrique. Il est certain par exemple que ces mœurs barbares, cette férocité hunnique, entre les mains d’un Victor Hugo pouvaient devenir la matière et l’occasion de vers magnifiques et d’admirables peintures. Par malheur, — pour Attila, — M. de Bornier n’est qu’un poète consciencieux, énergique parfois, mais sans mouvement et sans imagination, et il en résulte qu’à défaut d’intérêt scénique ou d’analyse psychologique, il n’a pas su incarner sa pensée dans une langue vraiment originale. Corneille d’une part, et Victor Hugo de l’autre hantent sa pensée et l’obsèdent. Lorsqu’il écrit ce vers :

Tout Romain doit avoir l’âme de Régulas,


il nous fait penser à Corneille, et lorsqu’il écrit ceux-ci :

Que Dieu fit, en brisant nos plus douces chimères,
Du tombeau des enfans une patrie aux mères.


Vous reconnaissez le procédé cher à la rhétorique romantique, où le vers qui fait image se trouve jeté dans un mouvement d’éloquence et dessine un paysage là où le classique mettait une idée abstraite. Mais cette composition de langue, où ce que Corneille a d’un peu sévère se mélange à ce que Victor Hugo a parfois de pompeux, n’est pas toujours d’un bon effet; — cette sorte de mosaïque n’a rien de personnel, ni de vivant. — Telle quelle, cette pièce, sans être un succès, n’est pas cependant une chute. Que voulez-vous y faire? Peut-être aussi que, si l’on s’avisait de reprendre dans notre répertoire du quatrième ordre le Siège de Calais, il se trouverait un public pour y applaudir.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.