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l’Italie pour développer ses ressources, pour se défendre des fausses combinaisons et des vaines espérances, pour choisir sa vraie politique et ses vrais amis.


CH. DE MAZADE.


THÉÂTRE DE L’ODÉON.

Les Noces d’Attila, drame en quatre actes, en vers; par M. H. de Bornier.


Ce serait un curieux chapitre de critique dramatique que celui qui raconterait ce qu’on peut appeler le mirage des faux sujets. Quand le poète va cherchant à travers les âges un héros à évoquer sur ta scène, il semble qu’il n’ait qu’à choisir parmi les figures gigantesques en qui s’incarne une époque, une race, une idée : les personnages illustrés par l’éclat de leur génie ou de leur malheur sont là, immobiles dans l’attitude qu’ils ont gardée devant la postérité, n’attendant qu’un poète pour s’animer, marcher, vivre dans un décor sublime; assez connus du public pour que dans leur bouche les exagérations épiques paraissent naturelles, assez mystérieusement enfoncés dans la perspective des temps pour qu’ils puissent aisément se transformer en symboles et représenter, non plus seulement des individus, mais une idée, l’amour de la patrie, le respect sacré de la famille, la défense de la liberté. Les noms se pressent depuis Annibal jusqu’à Napoléon, et cependant, si l’on veut passer en revue le répertoire dramatique français ou étranger, la liste est si courte de ceux qui ont réussi dans l’entreprise, qu’en dehors du Jules César de Shakspeare, je ne vois guère une seule tragédie ni un seul drame ayant pour héros un de ces grands hommes historiques, dont on ne puisse dire qu’ils sont manques.

Entre les raisons, très nombreuses et très complexes de ce fait, on peut indiquer au moins la principale. C’est que l’auteur, en pareil cas, se trouve avoir à poursuivre deux buts à la fois et deux buts qu’il est également difficile de toucher. Pour nous intéresser au personnage qu’il pose en scène, il faut qu’il frappe assez fortement l’imagination pour pouvoir détruire l’image toute faite que le spectateur apporte au théâtre. C’est une sorte de coup d’état à exécuter sur l’imagination du spectateur, et qu’il faut que l’auteur ait exécuté sur sa propre imagination. Car lui aussi doit avoir une idée d’ensemble, qu’il a dû morceler sous peine de manquer à la première loi du théâtre, qui est l’action. Il a été nécessaire qu’oubliant ce que son héros deviendra plus tard, il ne croie qu’à ce qu’il est aujourd’hui. Donc il l’installe dès le début dans une attitude unique qui ne se renouvellera pas jusqu’au bout de la pièce. Au lieu d’une âme, c’est un tableau, au lieu d’un