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C’est un peu le courant du jour, excepté en France, où l’on se donne d’autres soucis, c’est le courant du moment de s’occuper des grandes affaires de diplomatie, de l’état de l’Europe, et pendant douze ou quinze séances, le parlement italien vient d’être tout entier à une discussion trop prolongée sur la politique extérieure, sur le rôle de l’Italie, sur les procédés diplomatiques du gouvernement. Pendant près de quinze jours, toutes les opinions se sont produites en pleine liberté, non sans une certaine mesure dont les Italiens ont le secret. Le procès de la politique ministérielle a été habilement instruit par les plus éminens orateurs de la droite, M. Minghetti, M. Visconti-Venosta, M. Bonghi. D’un autre côté, le procès de la droite, des modérés qui ont longtemps gouverné l’Italie, a été instruit sous forme rétrospective par la gauche, par M. Crispi, par le président du conseil lui-même, M. Cairoli, par le ministre de l’intérieur, M. Depretis. A travers tout, à part les récriminations rétrospectives qui ont été vertement relevées par les anciens ministres, qui ne répondent plus d’ailleurs à rien, que reproche-t-on au gouvernement d’aujourd’hui, à la politique du ministère et de la gauche tout entière qui est depuis cinq ans au pouvoir par ses divers représentans? On lui reproche d’avoir reçu une bonne et sûre situation diplomatique il y a quelques années et d’avoir laissé dépérir cette situation, de n’avoir pas su maintenir l’influence italienne dans les affaires d’Orient, en Égypte, d’avoir compromis les rapports avec l’Autriche en laissant se développer les agitations de l’Italia irredenta, d’avoir préparé l’isolement où l’Italie se trouve aujourd’hui. Toutes ces accusations ne sont certes pas dépourvues de vérité, et quand elles sont soutenues avec l’habileté mesurée que sait y mettre M. Visconti-Venosta, elles ne manquent pas de produire un certain effet. Le président du conseil, M. Cairoli, ne s’est pas défendu sur toutes les questions avec un égal succès. Il y a cependant un point où, par la loyauté de son langage, il a désarmé les défiances. M. Cairoli a été aussi net que résolu dans ses déclarations contre les agitateurs de l’Italia irredenta, au sujet des rapports d’amitié qu’il entend maintenir avec l’Autriche. Cette longue discussion a fini par un bill de confiance accordé au ministère.

Au fond, tout cela veut dire que l’Italie éprouve un certain malaise, que les événemens de ces dernières années n’ont pas répondu à ses vœux ; tous les partis à peu près sont mécontens. La droite n’est pas naturellement satisfaite de la gauche. La gauche récrimine contre la droite. M. Crispi n’est content ni de la droite, ni de la gauche. Il n’est peut-être content que de lui-même. M. Crispi a dit avec une certaine candeur qu’il avait manqué à l’Italie un homme de génie, qui, après sa merveilleuse résurrection politique, ait su l’organiser. M. Crispi n’est vraiment pas difficile. Il lui faut un homme de génie, et le génie ne se rencontre pas tous les jours, même quand M. Crispi est au parlement; mais, à défaut du génie, il reste le bon sens, qui peut encore suffire à