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résultat du scrutin, à qui restera le succès ou quelle sera la mesure de la victoire du gouvernement, s’il y a victoire pour le gouvernement, on le saura bientôt, puisque les élections commencent aujourd’hui. A vrai dire, les libéraux, malgré leur activité et leurs ressources, ont beaucoup à faire pour ressaisir l’ascendant et reconquérir le pouvoir par un mouvement d’opinion. Ils ont contre eux un certain instinct populaire qu’ils ont mis en défiance par des semblans d’alliance avec les séparatistes irlandais, ces home rulers, dont ils ont paru rechercher ou accepter l’appui dans quelques élections; ils ont contre eux, jusqu’à un certain point, le sentiment national, qui ne leur a pas encore complètement pardonné les mécomptes d’une politique extérieure trop effacée. Ils ont aussi contre eux la légion des cabaretiers, et comme on dit, des marchands de bière, gens influens qu’ils ont froissés par certaines mesures fiscales et que l’autre jour M. Bright essayait vainement de ramener. Ils ont enfin un désavantage, c’est que, même s’ils obtenaient un succès assez sérieux, ils n’auraient qu’une majorité disparate pour exercer le pouvoir, tandis que le ministère, même s’il venait à perdre quelques voix, aurait encore une majorité compacte, unie, disciplinée.

N’importe, la lutte n’est pas moins vivement engagée, et si le ministère a plus d’un avantage sur les libéraux, il a bien, lui aussi, ses côtés faibles. Il ne s’est nullement popularisé par ses réformes intérieures; il n’a pas précisément brillé dans les affaires de financés, dans ses budgets, qui sont loin d’égaler les budgets de M. Gladstone, et même dans ce qui fait sa force, sa popularité réelle, dans sa politique extérieure, il n’est pas sans avoir ses points vulnérables. Assurément, par quelques-uns de ses actes, par sa diplomatie Un peu aventureuse, mais après tout suffisamment heureuse, lord Beaconsfield a remué la fibre britannique; il a su assurer à son pays des satisfactions d’orgueil par sa vigoureuse rentrée dans les affaires européennes, et jusque-là, malgré ce qu’il a pu y avoir de décevant dans quelques-uns des feux d’artifice de sa politique, il est à peu près sûr d’avoir pour lui le sentiment national. L’opinion anglaise ne le suivrait peut-être pas jusqu’au bout si, comme on le dit, il avait la fantaisie de profiter d’une victoire électorale pour prendre un rôle dans le concert austro-allemand, si dans l’ancienne alliance à trois imaginée par M. de Bismarck, il voulait remplacer l’empereur de Russie par « l’impératrice des Indes. » Ici commenceraient sans doute les difficultés, et lord Hartington, meilleur tacticien que M. Gladstone, a su habilement saisir le point délicat, en s’efforçant de représenter la politique du parti libéral comme rajeunie, et de montrer le danger de toutes ces fantaisies d’intervention du ministère. Il a signalé tout ce qu’il pouvait y avoir de compromettant dans une adhésion mal calculée à « une de ces alliances exclusives et spéciales. » Lord Hartington a même ajouté quelques mots plus significatifs en disant : « Je crois que, s’il était question de faire adhérer l’Angleterre