Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépend moins du pape que de M. Windthorst, et que M. de Bismarck attache moins de prix aux concessions auxquelles pourra se résoudre Léon XIII qu’aux complaisances dont le parti du centre catholique usera à son égard, principalement dans les questions d’impôts. « Qu’ils murmurent pourvu qu’ils paient! » Tel est encore le mot de la situation.

Le nonce Roberti disait jadis : « Il faut s’enfariner de théologie et se faire un fonds de politique : Bisogna infarinarsi di teologia e farsi un fondo di politica. » M. de Bismarck, qui n’est pas nonce, n’a jamais éprouvé le besoin de s’enfariner de théologie, et jamais non plus il n’a eu besoin de se faire un fonds de politique ; en venant au monde à Schönhausen, il l’avait trouvé dans son berceau, il n’a eu que la peine de défaire le paquet. Il n’a porté dans la lutte contre l’église aucune passion dogmatique, il ne veut aucun mal au catholicisme, il n’est pas homme à s’échauffer pour ou contre une doctrine, il n’est théologien que par occasion et, comme on l’a dit, « pour le besoin de la cause ou plutôt de sa cause. » Il est un pur spécialiste, et sa spécialité est la politique ; il n’a jamais fait, il ne fera jamais durant toute sa vie que de la politique, et le premier article de son Credo politique est qu’il entend être et rester maître chez lui. Il n’est entré dans une voie de rigueur à l’égard du saint-siège et du clergé que le jour où il a vu apparaître dans la chambre des députés de Prusse comme dans le parlement impérial un parti d’opposition compact, formé de catholiques de toutes les provinces du royaume, disposé à pactiser avec ses ennemis, c’est-à-dire avec les particularistes, les Polonais et les guelfes, et ayant à sa tête un ancien ministre du roi de Hanovre, dont il disait que « l’huile de sa parole n’était pas de cette espèce qui adoucit les blessures, mais de celle qui attise les flammes, les flammes de la colère. » Le chancelier de l’empire n’a jamais considéré le Culturkampf que comme une mesure de représailles, ou, pour mieux dire, il s’en est servi pour briser une opposition qui le gênait et l’irritait. Les lois de mai n’excitaient pas son enthousiasme, elles n’ont été pour lui qu’un moyen. Le 6 mars 1872, il disait à la chambre des seigneurs : « Il en est des lois comme de la plupart des remèdes; le plus souvent elles ne servent qu’à guérir une maladie par une autre maladie passagère et moins fâcheuse. »

Un journal catholique de Vienne, qui paraissait bien informé, s’est chargé de nous faire savoir que M. de Bismarck, dans les premiers mois de 1872, avait négocié secrètement avec le cardinal Antonelli et le pape Pie IX, qu’il les avait engagés à s’entremettre comme d’honnêtes courtiers pour seconder sa politique intérieure en déterminant le parti du centre à se désister de son opposition systématique. Il avait joint, selon son habitude, les menaces aux caresses, il avait insinué qu’en cas de refus, il se verrait forcé de faire régler ses relations avec l’église par son