Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remontent du bas vers le haut; » dans aucun endroit du monde les subalternes ne sont plus enclins à faire la loi aux maîtres. Depuis les mystérieux entretiens que M. de Bismarck eut à Kissingen avec Mgr Masella, on a répété mainte fois que les négociations entre Rome et Berlin n’aboutiraient pas, que si le gouvernement prussien se flattait d’obtenir quelque concession du pape, il ne tarderait pas à se désabuser, que le pape ne céderait rien parce qu’il ne pouvait rien céder. Le comte Arnim écrivait il y a dix-huit mois que Léon XIII ne se sentait pas assez fort pour résister aux mines grises de son entourage. Il ajoutait : « Beaucoup de princes et de ministres échouent dans leurs desseins par la peur que leur inspirent les mines grises. Il en va tout autrement pour le chancelier de l’empire allemand, lequel n’a jamais considéré des visages réjouis comme un élément essentiel de son mobilier. » Il paraît certain que le pape Léon XIII est demeuré quelque temps en suspens, que de grands combats se sont livrés dans son cœur douloureusement partagé, qu’il a balancé à franchir le pas. Il a dû se dire plus d’une fois que dans ce grand procès il était le demandeur et le plaignant, qu’il avait des indemnités à réclamer, qu’il n’avait rien à offrir. Et cependant il a fini par prendre son parti; à la date du 24 février dernier, il a écrit à l’archevêque de Cologne une lettre livrée récemment à la publicité, qui contient cette phrase : « Dans l’intérêt du rétablissement de la paix, nous tolérerons que les noms des pi êtres que les évêques choisissent pour les seconder dans l’exercice de leur saint ministère soient portés à la connaissance du gouvernement prussien avant l’institution canonique. » L’étonnement fut grand en Allemagne, lorsqu’on apprit que le pape consentait à se soumettre à l’une des lois de mai; ce fut pour les uns une grande cause de joie, pour les autres un douloureux sujet de scandale. Ce qu’en a dit M. de Bismarck, personne ne le sait, mais il est facile de deviner ce qu’il en a pensé.

Il ne faut pas trop s’étonner que Léon XIII se soit déterminé à faire au gouvernement prussien des ouvertures conciliantes et que ces ouvertures aient été reçues favorablement; de part et d’autre, on avait sujet de désirer la paix. Quelle qu’ait été la clairvoyance de M. de Bismarck, il est permis de croire qu’au début de la campagne, il s’était fait quelques illusions. Il avait pensé pouvoir s’appuyer sur le vieux-catholicisme, et le vieux-catholicisme s’est dérobé sous sa puissante main comme le plus fragile des roseaux. Il s’était flatté de rompre le faisceau des intérêts catholiques, de répandre le trouble et la désunion dans le sein de l’église ; mais l’église est restée unie, et au tentateur qui, en retour de ses complaisances, lui promettait de changer les pierres en pains, elle a répondu fièrement : « Ceux qui croient ne se nourrissent point de pain seulement, mais de toute parole tombée des lèvres du saint-père. » M. de Bismarck n’est parvenu ni à détacher le clergé inférieur de ses chefs hiérarchiques, ni à persuader aux populations de