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organes de ces réclamations. On prétend qu’il est un obstacle au développement de notre industrie, et comme il est la conséquence du contrat passé entre l’état et les compagnies, on arrive à cette conclusion qu’il faut racheter les concessions et mettre les chemins de fer entre les mains de l’état pour permettre l’application d’autres bases.

La réforme des tarifs préoccupe l’opinion publique, et une certaine école, très en faveur aujourd’hui, a pris pour devise un large abaissement des prix de transport.

Ce courant d’idées s’explique par les conditions nouvelles dans lesquelles se trouve l’industrie et par les transformations qu’elle a dû subir depuis quelques années.

Avant la création des chemins de fer, les transports à bon marché étaient rares et étaient l’apanage de quelques contrées privilégiées desservies par les rivières navigables ou par les canaux de navigation; mais ces moyens économiques ne pouvaient s’étendre beaucoup et se ramifier dans tout le pays. Dès lors l’industrie était localisée; on s’installait près des lieux où l’on trouvait les matières premières, on fabriquait tant bien que mal et on n’approvisionnait qu’une région restreinte autour de son usine. La caractéristique de cette époque, c’est le défaut de concurrence. La France était entourée d’une barrière artificielle qui s’appelait prohibition et qui est devenue ensuite protection; mais il y avait dans le pays d’autres barrières bien plus puissantes, des barrières naturelles, par suite de l’impossibilité de déplacer les matières premières ou les produits. On était inféodé à sa région : la Guyenne à Bordeaux, la Gascogne à Toulouse, la Provence à Marseille, et dans chaque région existait un centre d’approvisionnement dont on était forcément tributaire. La création des chemins de fer a bouleversé ces conditions; leur réseau, dont les mailles se rétrécissent de jour en jour, a pénétré partout. Par suite de l’abaissement des prix de transport, on fait venir de loin les matières premières et on expédie au loin les produits fabriqués. Une usine peut s’établir à peu près partout, et les esprits les plus justes ne peuvent se défendre quelquefois d’un certain étonnement en voyant s’élever et prospérer une industrie loin de toutes les matières premières, loin des lieux de consommation.

De là une concurrence très active, très ardente; on se voit disputer le marché dont on était le maître jusqu’alors, et il faut par conséquent s’ingénier pour réduire ses prix de revient afin de pouvoir se de’ fendre dans la lutte ; il faut aller chercher des consommateurs plus éloignés pour diminuer ses frais généraux. Les prix de transport jouent donc aujourd’hui un rôle capital dans l’industrie, et