Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme des droits certaines prérogatives qui perdent toute leur grâce quand elles ne sont plus des concessions toutes volontaires du plus fort au plus faible. En Amérique, par exemple, une dame qui ne trouve pas à s’asseoir dans un lieu public s’arrête devant un monsieur, fixe sur lui ses regards jusqu’à ce qu’il lui cède son siège, et s’y installe sans même le remercier. Il y a là quelque excès, et M. Spencer pense que le rythme de l’évolution aura pour résultat de ramener à une mesure plus modeste ces hautaines exigences. Il est probable aussi que l’avenir ne dépossédera pas entièrement l’homme de sa suprématie maritale : son jugement d’ordinaire plus rassis, son humeur moins mobile lui assureront toujours, en cas de conflit, l’autorité. Quant à l’accession des femmes à la puissance politique, M. Spencer est beaucoup moins affirmatif que son compatriote Stuart Mill. Tant que la société ne sera pas complètement organisée sur le type industriel, il estime qu’une pareille mesure présenterait de graves dangers. La femme a trop le respect de l’autorité, elle a un sentiment trop faible de l’indépendance individuelle, elle est surtout trop disposée à sacrifier un bien ultérieur à un bien immédiat, pour qu’on puisse, sans compromettre sérieusement la cause du progrès, lui attribuer une part légale dans la direction des affaires publiques. Elle ramènerait plutôt en arrière nos sociétés, où l’esprit militaire et le principe de coopération par contrainte ont encore tant de force. Laissons-la donc, au moins provisoirement, dans l’intérieur de la maison ; qu’elle y prenne toute l’influence qui lui appartient de droit ; qu’elle y forme le cœur et l’intelligence des générations futures, tâche qu’entendent si mal, au dire de M. Spencer, les précepteurs officiels, et à laquelle la prédisposent merveilleusement les dons exquis qu’elle a reçus de la nature : tâche modeste et sublime, qui, bien comprise, a de quoi suffire à ses plus hautes ambitions, en lui permettant de travailler de la manière la plus efficace et la plus directe à l’avènement d’un ordre social plus parfait.

L’histoire nous montre l’enfant graduellement soustrait à l’autorité du père, qui, primitivement, a sur lui droit de vie et de mort. Faut-il croire que cette émancipation deviendra plus complète encore dans l’avenir ? M. Spencer trouve au contraire que, dans cette voie, certaines sociétés contemporaines, les États-Unis par exemple, vont déjà trop loin. L’indépendance qu’on y laisse aux jeunes gens est excessive ; elle a pour effet de les exposer prématurément à toutes les excitations que la virilité seule peut supporter sans trop de péril, et de surmener avant l’âge une activité dont les sources risquent d’être taries au moment où elle devra déployer son plus vigoureux effort.

En résumé, si le lien domestique s’est progressivement relâché jusqu’à nos jours, et s’il est bon qu’il en ait été ainsi pour affranchir