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interdit à l’artisan, sous peine de mort, de changer d’occupation et de localité : c’est le cas à Madagascar. — La vie privée elle-même n’échappe pas à ce contrôle. Chez les anciens Péruviens, « des officiers inspectaient minutieusement chaque maison pour s’assurer que le mari et la femme maintenaient le bon ordre dans leur intérieur et une exacte discipline parmi leurs enfans. » — La théorie qui résume tous ces traits et qu’un sentiment puissant contribue sans cesse à fortifier, c’est que les individus existent pour l’état, non l’état pour les individus. Dans une armée, le soldat n’a ni droits ni liberté ; sa vie n’a de valeur que comme condition du succès collectif ; de même dans une société militaire, la liberté, les intérêts, le bonheur de chacun, sont absolument sacrifiés à la grandeur de la communauté : l’obéissance aveugle au souverain, voilà la première des vertus.

Tout opposés sont les caractères du type industriel. Les voyageurs constatent l’existence d’un petit nombre de peuplades à qui la guerre est inconnue ; « les hommes y vivent en paix les uns avec les autres et s’aiment comme des frères ; ils reconnaissent dans toute leur plénitude les droits de propriété, et il n’y a parmi eux d’autre puissance publique que celle des décisions des vieillards, conformément aux coutumes des ancêtres. » Le type industriel est essentiellement pacifique, et, par suite, l’autorité des chefs est faible ou nulle ; même à l’état sauvage on voit apparaître, chez les sociétés qui présentent ce type, les premiers linéamens du gouvernement représentatif et démocratique. Le même fait se reproduit et devient plus manifeste à mesure que l’on descend le cours de l’histoire : témoin Athènes, les villes hanséatiques, la république hollandaise, les États-Unis et l’Angleterre. — Des traits identiques se retrouvent dans le gouvernement ecclésiastique des sociétés industrielles ; ce n’est plus la rigoureuse hiérarchie sacerdotale du type militaire, ce n’est plus le despotisme d’un dogme uniforme pesant sur toutes les consciences : les sectes se multiplient, le droit de libre examen est proclamé et peu à peu reconnu ; chacun se fait sa croyance avec les seules lumières de son propre jugement. — Les entraves qui, primitivement, enlaçaient l’industrie, le commerce, tombent une à une ; dans toutes les directions, l’initiative privée tend à exclure l’ingérence du pouvoir politique, dont l’action est ainsi de plus en plus réduite ; on en vient à considérer comme un devoir de résister à un gouvernement irresponsable et même aux excès d’un gouvernement responsable ; et dans tous les esprits s’implante, avec une force croissante, l’opinion que l’activité collective du groupe social n’a d’autre but que de maintenir les conditions les plus favorables au développement de la liberté et du bien-être individuels. — Et il n’en saurait être autrement. Toute