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émotionnels, intellectuels, de l’homme primitif, de ses idées relativement à lui-même et aux choses extérieures : ce sont les données de la sociologie. La seconde a pour objet de déterminer ce que c’est qu’une société, quelles en sont les conditions et les organes essentiels, quelles lois président à l’évolution sociale en général : ce sont les inductions de la sociologie. Enfin, dans la troisième partie, il est question des relations domestiques, des modifications qu’elles subissent et des caractères différens qu’elles doivent, nécessairement présenter selon que l’on considère tel ou tel type de société. On peut prévoir que les deux volumes à venir contiendront des considérations analogues sur l’évolution industrielle, scientifique, morale, religieuse, etc.

L’ordre dans lequel se succèdent ces parties se justifie aisément. Il semble naturel de commencer par étudier l’homme primitif tel qu’il est en lui-même, abstraction faite des relations sociales : la société étant un agrégat, on n’en peut connaître la nature que si l’on a préalablement déterminé celle des unités qui la constituent. — C’est là un de ces principes que M. Spencer transporte de la biologie dans la sociologie ; mais peut-être n’est-il applicable à cette dernière science que dans certaines limites assez étroites et sous des réserves qu’il eût été prudent d’indiquer. J’admets sans peine que les propriétés fondamentales d’un tissu vivant soient identiques à celles des cellules qui le composent, car celles-ci sont sensiblement homogènes ; en est-il de même quand il s’agit d’une société ? Là les unités sont fort hétérogènes ; physiquement, et surtout intellectuellement et moralement, les individus d’un même corps social diffèrent grandement les uns des autres, et cela est vrai même des sociétés les plus rudimentaires, bien que l’inégalité y soit, au moins pour nous, plus difficile à découvrir. Ici encore la liberté est un élément différentiel d’une importance incalculable ; les généralisations relatives à la nature des unités sociales ne peuvent donc avoir qu’une exactitude très imparfaite. Et lors même qu’on éliminerait les exceptions pour ne tenir compte que des caractères de l’ensemble, il resterait à prouver que ces exceptions n’ont aucune influence considérable sur le développement de l’agrégat considéré comme un corps organisé. Ceci n’irait à rien moins qu’à nier l’action des héros, des hommes qui, par leur intelligence et leur volonté, ont été puissans soit pour le mal, soit pour le bien. N’est-ce pas là un grave problème de philosophie de l’histoire, qui valait la peine d’être discuté à fond et que la méthode de M. Spencer lui interdit même de poser ?

Ces réserves faites, reconnaissons que le tableau tracé par M. Spencer est intéressant et spécieux. — Au point de vue physique, l’homme primitif a dû être notablement inférieur à l’homme