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le risque de demeurer à sec. « Faites rentrer les sondeurs ! » La frégate continue de dériver. Si elle est destinée à s’échouer, ne le saura-t-on pas assez tôt ? Chacun fait silence, tous les yeux sont fixés sur le capitaine. Lui, toujours impassible, toujours indifférent en apparence à ce qui préoccupe si vivement les autres, il attend simplement que le temps s’écoule. « C’est bien, dit-il enfin, le banc maintenant doit être franchi. Sondez ! » L’amiral Lalande admirait beaucoup ce trait de sang-froid, et l’amiral Lalande, en fait de sang-froid, de sang-froid souriant surtout, était un connaisseur.

Aucun suffrage n’a manqué au capitaine Bouvet ; il a eu ceux de ses élèves, il a obtenu, — ce qui est bien autrement rare, — ceux de ses rivaux. « Salut, vainqueur ! gloire immortelle à vous et aux braves que vous commandez ! » Qui s’exprimait ainsi ? Le vainqueur du Grand-Port, le futur commandant du blocus de Cadix et de l’expédition d’Alger, l’amiral dont la marine entière vénère encore aujourd’hui la mémoire et dont le nom est si dignement porté, le chevaleresque amiral Duperré. La postérité a ratifié le cri échappé du cœur de ce « grand soldat sincère ; » le nom de Bouvet a sa place marquée entre ceux de Duguay-Trouin et de Jean Bart.


IV.

On ne fait ni des Bouvets, ni des Duperrés à coup d’ordonnances ; néanmoins, les ordonnances, quand elles sont bien digérées, n’y peuvent nuire. S’il dépendait de moi, il est une spécialité, parmi toutes les spécialités qui se partagent le temps de nos officiers, dont on tiendrait grand compte : je veux parler de cette spécialité qui ne porte encore aucun nom et qui n’est le domaine ni du canonnier, ni du fusilier, ni du torpilleur. Quis custodiet custodes ? Qui conduira tous ces terribles destructeurs au feu ? Je ne me contenterais pas à cet égard d’une vague notoriété. J’aimerais à savoir où l’officier qui se dit marin et manœuvrier a fait ses preuves, quelles mers il a parcourues, de quels parages périlleux il est devenu pratique, dans quels ports il serait capable de conduire une escadre. Un brevet sur ce point ne gâterait rien. C’est une admirable invention que ces brevets délivrés, après un sérieux examen, à nos matelots, — brevet de canonnage, brevet de timonerie, brevet de manœuvre, — il y en a pour tout. Ne nous arrêtons pas dans cette voie ; distribuons aussi leurs parchemins à nos officiers. Noblesse oblige.

Ah ! vous prétendez connaître plusieurs langues étrangères ! La chose est inscrite de votre propre main à votre dossier. Avancez un peu : voici des juges ! Parlez-vous l’allemand, le danois, le suédois, le hollandais, le grec moderne, le malais, le chinois, le russe ? Non ! Vous parlez tous « l’anglais et l’espagnol. » Il était inutile d’ajouter