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III.

Je suis loin de vouloir dissimuler les dangers réservés à quiconque affronte les colères de Neptune. Je dirai cependant, — et personne sur ce point ne me désavouera, — que les dangers de la mer sont fort atténués quand on opère dans des parages devenus par une longue pratique familiers aux chefs et aux équipages. Ce serait une grande faute, à mon sens, que de ne pas chercher par tous les moyens possibles l’occasion d’agrandir le cercle étroit dans lequel la routine des vieilles stations nous maintient. La politique, avec ses ombrages, entravera-t-elle toujours notre éducation de marins ? Si j’avais à recommencer ma carrière, je voudrais aller demander à quelque bateau de commerce ce que me refuseraient probablement encore les vaisseaux de l’état. Collingwood nous étonne quand il nous entretient des appréhensions que lui cause la navigation de l’archipel grec ; les navigateurs de la Méditerranée seraient bien autrement empruntés le jour où il leur faudrait agir dans des mers où les brumes, les courans, les côtes à demi noyées conduisent les plus expérimentés à tant de faux pas.

La vaillante et savante jeunesse qui monte aujourd’hui nos vaisseaux cuirassés n’a pas assisté aux premiers essais que fît en 1825 la restauration pour suppléer par l’appel d’une portion da contingent annuel à l’insuffisance de notre inscription maritime. Il y eut alors de violens débats, des doutes opiniâtres d’un côté, de l’autre des espérances que j’appellerais outrées, si ceux qui les exprimaient ne se fussent appliqués à les justifier par la plus méritoire ferveur. Deux officiers d’un rare mérite, MM. le contre-amiral de Mackau et le capitaine de frégate Lalande furent au nombre des partisans de l’idée nouvelle qui se signalèrent par l’enthousiasme avec lequel ils se mirent à l’œuvre. Les équipages de ligne devaient, suivant eux, procurer à nos flottes un recrutement sans limites et des corps de débarquement sans rivaux. On fit entrer dans ces compagnies la proportion de matelots qui parut nécessaire pour leur donner en face de la tempête quelque consistance, puis on leur distribua le casque de cuir bouilli, le sac de peau avec ses bretelles, la giberne, les bas boutonnés et un fusil marqué au numéro de chaque homme. L’équipement, complet pour la descente, ne convenait guère lorsqu’il s’agissait de se répandre sur les vergues. « Nous leur ferons serrer les voiles le sac au dos, » disaient les fanatiques. Tout alla bien en rade ; il fallut en rabattre dès qu’on essaya sérieusement de la mer. Dans la Méditerranée cependant le succès fut complet : le rigoureux hiver de l’année 1831 et le blocus plus