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Germanicus, longtemps avant ces pirates scandinaves, avait remonté deux des grandes rivières de l’Allemagne : la Meuse et l’Ems. Il fit construire, avec la rapidité qu’on y mettait alors, mille vaisseaux. C’est toujours par milliers de barques qu’il convient, en pareille occurrence, d’opérer. Gardez-vous bien de vouloir polir votre œuvre; l’important est de faire vite et de faire léger. Il y a cent à parier que nos fantassins ne prendront pas la peine de retrancher, comme les Grecs, leurs vaisseaux; ils suivront plutôt l’exemple de Cortez, ils les brûleront. Cela les dispensera d’aller chercher au loin du combustible. Des mille vaisseaux de Germanicus, les uns étaient courts, — brèves, — affinés des deux bouts, — angusta puppi proraque; — larges au milieu, — lato utero; — les autres se contentèrent d’être des bateaux plats, des bateaux sans quille, tels qu’il est bon d’en avoir pour accoster le bord, — planœ carinis, ut sine noxa sederent. — On leur donna deux gouvernails, le premier à l’avant, le second à l’arrière. Excellente précaution, que nous n’aurons pas besoin cependant d’imiter : un aviron de queue se transporte aisément de la poupe à la proue de la péniche. Est-ce tout? Non, Germanicus veut avoir encore des. vaisseaux à couverte, sorte de ponts flottans dont il se servira pour porter d’abord, pour débarquer ensuite avec facilité ses chevaux et ses catapultes. Ces vaisseaux pontés, — pontibus stratœ, — marcheront à la voile et à la rame. Nous les connaissons; ce sont des actuaires, — velis habiles, citœ remis. — La flottille se rassemble à l’île des Bataves, vaste alluvion qu’enveloppent le Wahal et la Meuse. Par le canal de Drusus, par les lacs, sans s’exposer à un trop long trajet maritime, elle gagne l’Océan; la voilà réunie à l’embouchure de l’Ems. Ruyter aussi y est venu à cette embouchure, il ne s’y est pas arrêté. L’Ems ne lui a pas fourni un point de débarquement pour l’invasion, le magnifique estuaire lui a procuré un refuge. Emporté de Bergen par la tempête à travers la mer du Nord, sans l’Ems il était perdu. Tacite reproche à Germanicus d’avoir débarqué ses troupes sur la rive gauche du fleuve, quand il les pouvait descendre sur la rive droite, en remontant plus haut. Germanicus se fût ainsi épargné la peine de jeter des ponts et n’eût pas perdu à ce travail plusieurs jours. Sans doute! Mais si les rameurs se lassèrent de refouler le courant, si les pilotes s’égarèrent dans le lit de la rivière, quel parti restait-il à prendre? Tout n’est pas dit quand on s’est engagé dans un fleuve; il faut encore en avoir sondé les détours, étudié les rapides; il faut même, ce qui n’est pas si facile qu’on pense, savoir y manœuvrer. Qu’il me soit permis de faire à ce sujet une remarque : la navigation hauturière nous apprend à trouver le chemin de la Chine ou de l’Australie; elle