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rythme cadencé du symphoniacus, les fils de Romulus furent bientôt en état d’en remontrer aux Carthaginois; les grenadiers de Boulogne, avant que le camp lût levé, étaient déjà de force à battre haut la main les écoliers d’Oxford. Ils auraient gagné à Woolwich toutes les régates. Les soldats français sont les recrues les plus souples qui soient au monde; on peut les plier à tous les métiers qu’on voudra. Je n’en citerai qu’un exemple ; je suis convaincu qu’on le trouvera concluant.

Un clipper américain, le Monarch of the sea, s’était engagé à ramener de Kamiesh en France un bataillon de chasseurs à pied, le bataillon du commandant Nicolas. Ce clipper audacieux comptait sur la remorque qui lui était promise; il possédait un cabestan à vapeur qui levait ses ancres; quel besoin avait-il de se munir d’un nombreux équipage? Tout alla bien ainsi jusqu’à Milo; le Prométhée, que commandait le capitaine Du Quilio, traînait victorieusement l’énorme clipper à travers l’archipel; à Milo, le remorqueur manqua de souffle. Il fallut s’arrêter; les avaries du Prométhée étaient graves et voilà tout un bataillon impatient de toucher la terre natale en détresse. Qui manœuvrerait les immenses voiles? On sait ce que sont les voiles d’un clipper; un vaisseau de ligne ne déploierait pas plus d’envergure. De plus, on se trouvait au cœur de l’hiver et je ne crois pas qu’on puisse rencontrer de conditions à la fois plus difficiles et plus laborieuses que celles d’une traversée d’hiver des mers du Levant en France. Le commandant Nicolas et le capitaine du Monarch eurent simultanément la même pensée, — une pensée américaine, — mais aussi une pensée bien digne de ce pays d’où sont partis jadis les découvreurs du Canada. Ils proposèrent aux chasseurs à pied de prendre la place des matelots qui manquaient. Les chasseurs acceptèrent et le cabestan à vapeur du Monarch of the sea leva l’ancre. Le voyage ne fut pas commode ; plus d’un soldat, quand il se balançait entre le ciel et l’eau sur la vergue, regretta, j’en suis sûr, le service cent fois moins périlleux des tranchées. Les côtes de France apparurent enfin à l’horizon et le glorieux bataillon compta dans ses annales un haut fait de plus.

Soldats de l’avenir, je ne veux rien vous demander de semblable. Nous ferons notre métier, faites le vôtre; seulement résignez-vous à le faire tout entier. Les sacs au fond de la péniche, les bras sur l’aviron, le fusil sous les bancs, dix jours de biscuit en bandoulière et, en avant, tout d’un trait à la plage! Je sais que vous avez généralement peu de penchant à vous confier à l’élément perfide. Le porte-aigle de la dixième légion avait-il donc le pied plus marin que vous? Les soldats de César, ces soldats qui venaient de conquérir la Gaule, hésitaient penchés sur le bord; ils mesuraient du