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LES
GRANDES FLOTTILLES


I.

J’ai osé remuer les cendres d’une question qui n’a guère jusqu’ici occupé les marins, mais qui, en revanche, a beaucoup occupé les érudits. Longtemps la vérité sur ce sujet brûlant se contenta de filtrer, comme une nappe d’eau inaperçue et discrète, entre deux couches d’argile; elle sourd aujourd’hui de tous les points du sol. Elle nous vient du midi, elle nous arrive du nord; on l’a entrevue au Canada; il ne lui restait plus qu’à sortir, dans son éclatante nudité, du puits de Samothrace.

Qui n’a entendu parler de la magnifique découverte de M. Champoiseau? Une statue de la Victoire, enfouie, depuis près de vingt-deux siècles, dans l’île sainte consacrée aux mystères des Cabires, a été, en 1863, extraite par des fouilles intelligentes des décombres qui la recouvraient; le musée des antiques s’empressa de lui ouvrir ses portes. Aujourd’hui c’est le piédestal de la noble mutilée qu’une ingénieuse restauration fait revivre, et, le croiriez-vous? par la plus heureuse des coïncidences, ce piédestal n’est rien moins que la représentation de la proue d’un navire de guerre contemporain du roi Ptolémée et du fils d’Antigone, Démétrius Poliorcèie. La date du monument se trouve attestée par des témoignages irréfragables. J’avais besoin que l’Académie des inscriptions et belles-lettres me le confirmât; sans son verdict, j’aurais pu m’y méprendre, tant la trière de Samothrace ressemble aux galères qui nous ont été si bien décrites en 1614 par le capitaine Pantero Pantera, cent ans plus tard par le capitaine Barras de la Penne. J’en avais d’ailleurs le pressentiment : il n’y a jamais eu qu’une marine à rames; les trans- formations successives, — ce que j’appellerais volontiers les quatre