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ou mutilait les statues sacrées. Les peintures et les sculptures qui appartenaient à l’art profane et qui n’étaient pas coupables de porter un emblème nobiliaire n’étaient pas épargnées davantage. Les sans-culottes des campagnes détruisaient avec fureur, pour le seul plaisir de détruire. A la fin de 1791 commença la vente des biens des émigrés. Là encore une multitude d’objets d’art furent vendus à vil prix. Si le gouvernement révolutionnaire n’avait arrêté cette rage de destruction, s’il n’eût rappelé ses agens inférieurs au respect dû aux œuvres du génie de l’homme, c’en était fait de tous les trésors d’art de la France. Heureusement, la convention nationale intervint par le décret du 10 octobre 1792, où il est dit : « En procédant à la vente des biens des émigrés, il sera sursis à celle des bibliothèques, autres objets scientifiques et monumens des arts. » Grâce à ce décret, fut sauvé de la dispersion un nombre infini d’objets d’art de toute sorte, depuis le tableau et la statue jusqu’à la figurine de Saxe et à la poterie étrusque. Tous ces objets furent centralisés dans les dépôts des grandes villes, Angers, Grenoble, Marseille, Tours, Bordeaux, Dijon, Lille, Toulouse, où ils furent mis sous les scellés. Pour servir de magasins provisoires, l’administration départementale choisit des églises fermées au culte ou des couvens abandonnés. A Toulouse, ce fut l’église des augustins; à Marseille, le couvent des lazaristes; à Dijon, la maison des bernardines; à Caen et à Lille, les couvens des eudistes et des récollets. Paris eut plusieurs dépôts : les Petits-Augustins, les Capucins, les Cordeliers. À cette multitude de tableaux, de statues et de curiosités, provenant de la confiscation des biens des émigrés et des communautés religieuses, vinrent s’en ajouter un grand nombre d’autres que, souvent au péril de leur vie, des hommes éclairés et courageux avaient sauvés de la destruction pendant le pillage des châteaux et des abbayes.

Les dépôts étaient fermés, les objets d’art sauvegardés, mais nul ne savait ce qu’on en ferait. Il n’avait pas encore été question de musées départementaux. Ce fut Roland qui en eut la première idée, ou du moins qui, en qualité de ministre de l’intérieur, fit connaître ce projet éventuel aux autorités départementales. Le 3 novembre 1792, il adressa cette circulaire à tous les corps administratifs : « Il est indispensable, messieurs, que, conformément à la loi, l’inventaire de tous les objets quelconques qui se trouvent sous les scellés soit scrupuleusement fait et que, d’après cet inventaire, on fasse l’examen et le triage de tous ceux qui paraîtront dignes d’être conservés, tels que les tableaux, dessins et statues de bons maîtres... Vous voudrez bien, sans délai, me faire passer un état explicatif des objets qui auront mérité d’être conservés. D’après le rapprochement de ces états, on jugera de ceux qu’il