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de Dresde, de Florence, de Naples, de Madrid n’étaient que des collections privées ; ce n’étaient point des musées. La création des musées, en France, où la convention a inauguré le Louvre et fondé les musées de province, à l’étranger, où l’exemple donné par elle a été suivi, est une œuvre de la révolution.

Toutefois, en cela comme en beaucoup d’autres choses, la révolution ne fit peut-être que précipiter l’accomplissement d’une réforme qui était déjà dans l’esprit public et dans l’esprit du gouvernement et qui se fût accomplie un jour, Barère ayant dit à la tribune, le 26 mai 1791 : « Il faut que la galerie du Louvre devienne un musée célèbre et qu’on y déploie les nombreux tableaux de Rubens et autres peintres illustres, » il reçut cette lettre de Duplessis, peintre du roi : « Le projet d’un muséum a été conçu par M. de la Condamine, et M. d’Angiviller, directeur des bâtimens royaux, a adopté ce projet et travaille depuis dix ans à en assurer l’exécution. » Bien que Barère appartînt à la société bien apprise du XVIIIe siècle, il n’y a pas apparence qu’il ait répondu à Duplessis. Le député eût pu dire que, sans mettre en doute la bonne volonté de M. d’Angiviller, on pouvait penser qu’il ne s’était pas beaucoup hâté, — il avait mis dix ans à ne rien faire. La convention alla plus vite en besogne, puisque dès 1793 le Louvre fut ouvert sous le nom de Muséum de la république. On est cependant fondé à croire que, même sans la révolution, il y aurait à notre époque des musées publics à Paris et dans les grandes capitales de l’Europe. Mais sans la révolution, les musées de province n’existeraient pas. C’est la révolution qui a créé les musées des départemens. Ce fut une œuvre inique, puisqu’elle fut fondée par la spoliation, mais pour nous qui, après un siècle, ne devons juger des choses que par leur résultat, c’est une œuvre grande et utile.


I.

Avant que l’assemblée constituante eût décrété la vente des biens des émigrés et l’aliénation des domaines ecclésiastiques, le cri de Camille Desmoulins : « Paix aux chaumières ! guerre aux châteaux ! » avait été pris trop au sérieux. Les meurtres et les pillages avaient ensanglanté et dévasté les provinces. Dans ces journées de carnage que virent les châteaux, les abbayes, les couvens, les églises, combien de tableaux, de statues, de gravures, d’objets précieux furent détruits! Il suffisait que des armoiries se trouvassent sculptées sur le cadre d’un tableau, apposées sur le plat d’une reliure, gravées dans un cartouche au bas d’une estampe, pour que le tableau fût lacéré à coups de sabre, le livre brûlé, la gravure déchirée. Au porche des églises, sur les monumens funéraires, le marteau brisait