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ingrat et malin qui est descendu de Fiesole, et qui garde encore quelque chose de la montagne et du rocher ; ainsi dépérit le doux figuier au milieu des sorbiers sauvages. » Ici[1], dans le discours prêté à Cacciaguida, il revient sur les inconvéniens et les calamités de cette population mixte, cittadinanza mista. La ville qui jadis fut « pure jusque dans le dernier de ses artisans, supporte maintenant la puanteur des rustres immigrés de la campagne aux yeux aiguisés pour le lucre. » Qu’il renverrait volontiers ces « changeurs ou marchands, » dans le Montemurlo, à Acolie, à Valdigrieve, à Simifonti, « où leurs grands-pères n’avaient fait que mendier ! » Que sa colère gronde contre la gent parvenue, « espèce insolente, qui devient dragon derrière tout fuyard, mais s’adoucit en agneau devant quiconque lui montre les dents ou seulement la bourse ! » Il énumère avec complaisance, avec abondance, les vieilles familles nobiliaires qui furent grandes et puissantes dans la commune du temps de son ancêtre, temps heureux et béni, où la ville avait pour limites le Pont-Vieux et le Baptistère, et seulement le cinquième de la population d’à présent ! Sans doute la vue d’Uccellatojo n’effaçait pas alors celle du Montemario à Rome par sa splendeur, et on ne connut point ces palais qui paraissent vides tant ils sont immenses, ni des Balthazars empressés à montrer tout ce qui peut se faire dans des salles aussi vastes. Modestes étaient les fortunes, médiocres les dots des filles, simples les parures des femmes, et tel chef d’une maison illustre se contentait de porter des habits de cuir ; mais aussi une matrone galante et un homme d’affaires et d’intrigues étaient des phénomènes non moins extraordinaires à cette époque que ne le seraient aujourd’hui une Cornélia et un Cincinnatus… Relisez, messieurs, ces quatre chants d’une poésie merveilleuse, où les accens d’Isaïe et ceux de Juvénal alternent sans relâche et sans choc ; mais relisez aussi, comme commentaire utile, indispensable la page qu’un compatriote, un contemporain de notre poète, a consacrée au tableau de la Florence d’alors. « La Florence d’alors, nous dit Jean Villani[2], possédait quatre-vingts banques qui centralisaient le crédit du monde entier et faisaient les emprunts de tous les états de l’Europe ; la seule industrie des draps y occupait deux cents fabriques et trente mille ouvriers ; le revenu annuel de la république était de 300,000 florins d’or. » Macaulay fait observer quelque part[3] que ce revenu dépassait de beaucoup celui que l’Angleterre et l’Irlande purent fournir ensemble trois siècles plus tard, à la reine Elisabeth. — Et c’est à de tels princes marchands et rois changeurs que l’arrière-petit-fils de

  1. Pour tout ce qui suit, voir Parad., XV-XVII passim.
  2. Hist. de Florence, XI, 91 et passim.
  3. Dans son Essai sur Machiavel.