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L’ABBE DOM FELIPE. — Et en 1848 l’on a fait un crime à notre vénéré Pie IX d’avoir déclaré presque dans ces termes de Dante que, père de tous les chrétiens, il ne pouvait envoyer ses sujets combattre les Autrichiens, qui ont reçu le même baptême. politique, que de comédies en ton nom!..

LE PRINCE SILVIO. — L’origine de cette « perturbation du monde, » notre poète la fait remonter au IVe siècle: il la découvre dans la translation à Byzance du siège de l’empire, mesure qu’il attribue fort étrangement à une condescendance mal entendue de Constantin le Grand envers les papes. « C’est pour céder au Pasteur qu’il s’est fait Grec; l’intention était bonne, mais le fruit fut amer[1]... » Le fruit, ce fut l’immixtion du saint-siège dans les affaires des états, la domination qu’il voulut exercer dans l’ordre temporel, la passion de commander, de posséder et de s’enrichir qui s’empara de l’église. Alighieri ne se demande pas si ce développement n’était point une nécessité historique, et somme toute, un immense bienfait pour l’humanité; s’il n’y eut pas quelque chose de salutaire et de vraiment providentiel dans cette influence dévolue à un pouvoir tout moral et tout spirituel, au milieu d’une Europe envahie par des peuples barbares livrés jusque-là au seul culte de la force et à l’assouvissement de leurs instincts de jouissance et de destruction. Il ne se demande pas si l’œuvre de la paix sur la terre n’a pas été pendant des siècles bien plus le travail des papes que celui des successeurs de Charlemagne; si, sous ses yeux mêmes, encore en 1307, et malgré la captivité babylonienne de l’église, il n’a pas été donné à Clément V de faire cesser, à Poitiers, les luttes acharnées des comtes de Foix et des comtes d’Armagnac, de régler les affaires pendantes entre la France et l’Angleterre, entre la France et la Flandre, et de terminer, pour un temps du moins, la question de la succession de Hongrie. Sa théorie est faite, et il s’imagine une histoire universelle tout à l’avantage de cette théorie. « Jadis, dit-il, airs que Rome faisait le bien du monde, elle avait deux soleils qui éclairaient l’une et l’autre voie, celle d’ici-bas et celle de Dieu ; mais depuis que des deux lumières l’une a éteint l’autre, et qu’à la crosse l’épée a été jointe, tout alla de mal en pis ; pour avoir confondu les deux pouvoirs, l’église de Rome verse dans la fange et se souille elle-même et son fardeau. »

LE MARCHESE ARRIGO :

Soleva Roma, che il buon mondo feo,
Duo Soli aver, che l’ una e I’ altra strada
Facén vedere, e del mondo e di Deo.

  1. Parad., XX, 55-60.