Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il ne dépendrait que d’un César de fermer à jamais les portes de l’enfer, d’extirper le mal de dessus la terre, de changer du tout au tout la pauvre nature humaine! Chose curieuse, cet adorateur et prôneur du passé, cet homme de la réaction et de la restauration, comme nous l’appellerions de nos jours, il lui arrive, une fois emporté par sa fougue, de proclamer jusqu’à cette doctrine d’une orthodoxie bien équivoque et si chère à la démagogie moderne, la doctrine de Rousseau, que la nature humaine est bonne en soi et qu’elle n’a été corrompue que par les gouvernemens :

Ben puoi veder che la mala condotta
È la cagion che il mondo ha fatto reo,
E non natura che in voi sia corrotta[1] !


Et parmi ces mauvais gouvernemens qui ont corrompu la nature humaine, Dante dénonce en première ligne le gouvernement des souverains pontifes... Soumis au saint-siège dans toutes les choses de la foi avec une fidélité inébranlable, studieux à reconnaître toujours hautement et de la manière la plus explicite l’institution divine de la papauté, il s’élève avec d’autant plus de véhémence contre la politique de la curie romaine à l’égard de cette autre institution également divine, selon lui; l’empire. C’est cette politique, croit-il, qui, en entrant en lutte avec les empereurs, a semé partout l’esprit de révolte, encouragé les princes de la terre dans leur résistance contre leur chef suprême, l’oint du Seigneur, rendu insolentes jusqu’à ces villes bourgeoises et marchandes qui, fières de leur prospérité et de leur désordre, refusent de baisser sous le joug salutaire leurs cous endurcis. Ainsi a été déchirée la robe sans couture du Christ, et le genre humain est devenu un monstre à plusieurs têtes. Honte et sacrilège! Au lieu d’avoir le même amour pour toutes les brebis du troupeau que leur a donné le Sauveur, les papes les ont rangées, les unes à droite, les autres à gauche ; ils ont souffert que la tiare devint un signe de ralliement pour les partis, ils ont souffert que les clefs à eux confiées par le prince des apôtres fussent portées comme enseignes sur les étendards qui allaient combattre des baptisés!..

LE MARCHESE ARRIGO :

Non fu nostra intenzion ch’ a destra mano
De’ nostri successor parte sedesse,
Parle dall’altra, del popol cristiano ;

Né che le chiavi, che mi fur concesse,
Divenisser segnacolo la vessillo,
Che contra i battezzati combattesse[2]

  1. Purgat., XVI, 103-105.
  2. Parad., XXVII, 46-51.