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s’insurgent-ils pas également contre l’unité apostolique? Après avoir ainsi argumenté, persuadé, supplié, il finit par menacer : « Toutes les souffrances que, dans sa fidélité, endura jadis la glorieuse ville de Sagonte pour la cause de la liberté, vous les éprouverez, vous, dans votre trahison et dans votre honte, pour la cause de l’esclavage[1]!..) Ce châtiment terrible, il ne se borne pas à le faire entrevoir, à en user seulement comme d’un moyen d’intimidation : il ne tarde pas à le provoquer lui-même, à l’appeler de tous ses vœux et contre sa propre ville natale. Il s’adresse directement à Henri VII, dans sa fameuse lettre du 16 avril 1311, et lui demande de porter un coup décisif, « le coup au cœur, » pour parler le langage de nos jours. L’empereur a tort, y dit-il, de s’attarder dans la compression des villes lombardes, et c’est en vain qu’on espère tuer l’hydre en lui abattant une tête après l’autre. Crémone domptée, Verceil, Bergame, Pavie, etc., se révolteront à tour de rôle. Il faut mettre la cognée à la racine de l’arbre vénéneux ; la source empoisonnée est dans la vallée de l’Arno, non point dans celle du Pô ou du Tibre, et Florence est le nom de ce mal horrible. Voilà la vipère qui déchire les entrailles de ses propres parens, la bête immonde qui infecte de sa contagion le troupeau du maître, une Myrrha impie dévorée d’incestueuses ardeurs, une Amata lubrique qui doit périr par la corde, u Lève-toi donc et mets fin à tes lenteurs, illustre rejeton d’Isaïe, aie foi dans ton seigneur, le Dieu Sabaoth, sous les yeux duquel tu marches ; viens abattre le Goliath avec la fronde de ta sagesse et la pierre de ta puissance; à cette chute, la nuit et les ombres de la terreur couvriront le camp des Philistins, et Israël sera délivré!..» Oh! assurément, si l’on veut ne pas être tout à fait injuste envers un des plus grands génies de l’humanité, il faut, en lisant ces pamphlets furibonds, toujours se rappeler que ce sont là les cris de convulsion d’un parti agonisant, d’un parti humilié et opprimé par un autre non moins violent que lui ; il faut aussi se rappeler que le patriotisme, tel que nous le comprenons aujourd’hui, n’existait pas à cette époque, et qu’Alighieri surtout était un cosmopolite convaincu, un théoricien fasciné par son idéal, emporté par son Fiat justitia! Mais ne nous étonnons pas non plus que la Florence d’alors n’ait jamais voulu pardonner à son fils les épîtres de 4 310 et 1311, et que le poète, pour lequel, de son vivant même, selon la belle expression de Michel-Ange, le ciel a toujours eu ses portes grandes ouvertes, ait trouvé celles de sa cité impitoyablement fermées devant lui jusqu’au jour de sa mort.

Peu de mots suffiront pour résumer la campagne du Lutzelbourg

  1. Lettre du 31 mars 1311. (Op. min. III. p. 450.)