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la menacer par une série d’entreprises venant se résumer et se concentrer dans un dernier défi sous le nom du ministère Polignac. Il avait merveilleusement choisi et défini le terrain où, appuyé à la légalité, il pouvait se déployer à l’aise, porter la guerre au camp ennemi, enflammer l’opinion et la préparer à toutes les résistances en faisant son éducation constitutionnelle.

Principes et usages des régimes libres, droits du parlement et du peuple, droit de se défendre contre la violation des lois même au besoin par le refus du budget, il remuait tout, il éclairait tout avec une hardiesse calculée et mesurée. A ceux qui croyaient l’embarrasser en lui demandant s’il voulait refaire une révolution de 89, il répondait que de tels événemens ne se reproduisaient pas deux fois, que c’était une grave extrémité. « Une révolution, poursuivait-il, est une chose si terrible, quoique si grande, qu’il vaut la peine de se demander si le ciel nous en destine une. Examinant sérieusement la chose, nous nous sommes dit qu’il n’y avait plus de Bastille à prendre, plus de trois ordres à confondre, plus de nuit du 4 août à faire, plus rien qu’une charte à exécuter avec franchise et des ministres à renverser en vertu de cette charte. Ce n’est pas là sans doute une besogne facile; mais enfin elle n’a rien de sanglant, elle est toute légale, et bien aveugles, bien coupables seraient ceux qui lui donneraient les caractères sinistres qu’elle n’a pas aujourd’hui. » Et, un autre jour, après avoir parlé de la révolution d’Angleterre et de la révolution française, de ce qui s’était passé pour Charles Ier et pour Louis XVI, de ce qui ne devait plus se passer, il ajoutait avec un mélange de menace d’un autre genre et de pitié, comme par un pressentiment : « Quand Jacques II, après avoir éloigné ses amis de toutes les opinions et de toutes les époques se trouva isolé au milieu de la nation morne et silencieuse; quand éperdu, effrayé de sa solitude, ce prince, qui était bon soldat, bon officier, prit la fuite, personne ne l’attaqua, ne le poursuivit, ne lui fît une offense. On le laissa fuir en le plaignant. » Avant que six mois fussent écoulés, c’était l’histoire du roi Charles X partant pour Cherbourg !

A ceux qui, pour le malheur du vieux roi, se plaisaient à rêver encore une monarchie semi-absolue, mêlée de réminiscences d’ancien régime et de velléités dictatoriales, M. Thiers opposait une vive peinture de la monarchie constitutionnelle telle qu’elle devait être, avec ses conditions, avec ses traits essentiels. « Un roi héréditaire, disait-il, inviolable dépositaire du gouvernement, obligé d’en confier l’exercice à des ministres responsables qui font pour lui la paix, la guerre, rédigent les lois, administrent la fortune publique, sur lesquels la sévérité nationale punit les fautes commises; un roi placé ainsi dans une région supérieure où il siège