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III.

Qu’était-ce donc que M. Thiers dans ces brillantes et fécondes années de la restauration où il s’élevait de jour en jour, où il se dégageait rapidement de la mêlée universelle? Plus que tout autre, c’était un jeune fils des classes nouvelles, ne devant rien qu’à lui-même, entrant avec éclat dans un monde où tout était nouveau comme lui, où tout souriait aux hardiesses du talent. A peine arrivé depuis quelques années, presque depuis quelques mois, il avait déjà marqué sa place par le feu et la fertilité d’un esprit fait pour tout comprendre et tout entreprendre, pour pouvoir dire aux autres en leur donnant le signal de la marche : « Nous sommes la jeune garde! » Ce qu’il a été depuis avec plus de retentissement, sur de plus vastes théâtres, dans des conditions qu’il ne pouvait pas même entrevoir, il l’était, dans son premier essor, au début de cette prodigieuse carrière.

Il avait surtout la confiance, le puissant et élastique ressort des natures destinées à arriver à tout et à rebondir à travers les événemens d’un siècle ; il avait la confiance de l’homme qui sent croître ses forces, qui a hâte de prendre possession de la vie, et cette confiance ne se manifestait pas seulement chez lui par la netteté des idées, — de ces idées qu’il avait reçues toutes faites en naissant, disait-il, — par le ton décidé et tranchant de ses polémiques, de ses premiers écrits; il la portait pour ainsi dire dans tout son être, dans ses relations, dans les salons de M. Laffitte, de M. Ternaux, de M. de Flahaut, où avec sa petite taille, son accent méridional et sa verve étincelante, il intéressait autant qu’il étonnait. Il avait de l’assurance, il la justifiait par la supériorité et la variété de ses aptitudes. Il avait l’ardeur et la facilité du travail, une merveilleuse puissance d’assimilation, le besoin inné d’étendre ses conquêtes, je veux dire ses connaissances, l’art de s’instruire par la conversation, par ses rapports avec des hommes qui avaient l’expérience et l’autorité, qui pouvaient lui donner ce que l’étude solitaire ne donne pas toujours. Avec le baron Louis, qu’il avait séduit, qu’il se plaisait à consulter en le contredisant quelquefois et dont il a souvent parlé depuis en l’appelant son maître, il s’initiait aux détails d’un budget, il débrouillait les opérations de finance et de crédit. Avec le général Jomini, il étudiait les affaires militaires en homme déjà persuadé que « l’histoire de la guerre est une des bases de la science politique, » qu’on ne « sait à fond la carte d’un pays qu’en étudiant les combats dont il a été le théâtre, » et qu’on ne connaît bien aussi « les relations de ce pays avec les autres qu’en