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sur l’empereur et où ses maîtres le notaient comme « intelligent et indiscipliné. » C’était un enfant de petite bourgeoisie marseillaise, qui, dès le premier âge, avait vu défiler les régimens de l’armée d’Egypte revenant en France, qui avait été élevé dans les écoles de l’empire et qui arrivait aux épreuves de 1815 avec un esprit déjà instruit, fait pour tout saisir et pour tout comprendre. Origine, instinct de classe, éducation impériale, impressions de la jeunesse en présence de l’invasion étrangère, tout cela s’est certainement retrouvé en se confondant, en se transformant dans cette nature si vive, si prompte, qui s’est déployée de tant de façons, à travers tant d’événemens, et qui, au fond, a si peu changé.

Sa première instruction politique à dix-huit ans, c’était tout ce qui se pressait sous ses yeux : cette chute soudaine d’un puissant gouvernement né de la révolution, élevé par la guerre, frappé par la guerre, — cette résurrection de l’ancienne monarchie avec ses princes inconnus, avec ses promesses et ses fatalités. C’était cette crise de 1815 qui allait conduire la France « de la soumission silencieuse à la liberté éloquente, » mais qui, pour le malheur d’un régime naissant, commençait par se confondre avec une poignante humiliation nationale. Si l’empire avait duré, M. Thiers était destiné sans doute à entrer dans les armées ou dans l’administration avec cette génération des lycées que Napoléon s’était flatté de former pour ses desseins de gouvernement ou pour ses dévorantes entreprises. La restauration changeait tout, ouvrait à la jeunesse d’autres perspectives encore indistinctes, et le fils des petits bourgeois de Marseille, pauvre et sans nom comme il le disait, ayant sa fortune à faire et ne pouvant la demander qu’à lui-même, partait d’un cœur léger pour Aix, où il allait suivre les cours de droit. Avec l’empire il eût été un officier, il aurait fait la guerre, — il a peut-être toujours gardé le regret d’une vocation trompée! Avec la restauration il devenait en peu d’années un avocat, il entrait au barreau; mais, avocat ou officier, il n’était sûrement pas de ceux qui restent en chemin, qui consentent à borner leur horizon. En faisant son noviciat d’avocat, il étendait et multipliait ses études avec ce don du travail sans fatigue, ce goût d’universalité et cet air d’improvisation perpétuelle qui ont été chez lui une sorte d’originalité innée; il allait de l’interprétation des lois à la littérature des derniers siècles, des mathématiques à la philosophie de Descartes. En ouvrant son esprit à toutes les études, il suivait de loin les luttes politiques qui se déroulaient à Paris, qui retentissaient à Aix, dans ces pays du Midi aux passions ardentes, aux partis tranchés. Dans cette vie provinciale mêlée de travail, de rêves d’ambition et même de plaisirs, il se signalait rapidement par la netteté de son intelligence, par la hardiesse de ses