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CINQUANTE ANNÉES
D’HISTOIRE CONTEMPORAINE

MONSIEUR THIERS

I.
LA JEUNESSE D’UN HOMME D’ÉTAT. — M. THIERS ET LA RESTAURATION.

Les morts vont vite ! les uns tombent dans l’oubli, les autres entrent aussitôt dans l’histoire. Il y a plus de deux années déjà, un de ces hommes faits pour se survivre à eux-mêmes par leurs actions, un homme qui semblait n’avoir point encore rempli tout son destin, quoiqu’il fût comblé de jours, disparaissait tout à coup, au milieu d’une des plus graves crises publiques. Il s’éteignait subitement, à quelques lieues de Paris, dans une hôtellerie de Saint-Germain, et ceux qui ont pu le voir une dernière fois, au moment où il venait d’être saisi par la mort, dans ce camp de deuil improvisé, en ont gardé l’ineffaçable souvenir. Dans une modeste chambre d’auberge, sur un petit lit sans ornemens, entre quatre cierges, il reposait endormi du sommeil sans rêves, avec sa physionomie caractéristique, naguère encore si vivante, maintenant rigide et immobile. C’était tout ce qui restait d’un homme qui, après avoir pendant soixante ans occupé le monde du retentissement de ses œuvres et de sa parole, politique, orateur, historien des scènes nationales, ministre des heures prospères ou des heures de miséricorde, chef d’opposition ou chef de gouvernement,