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de la citadelle, ils seraient foudroyés par les bombes et les boulets rouges, une exécution sommaire causant toujours moins de pertes et de ruines que des sensibleries et des apitoiemens. Il ne faudrait que quelques heures pour amener sur terre française les vingt mille gentilshommes ou stipendiés qui sont aux ordres des frères du Roi. Toutes les mesures seraient prises pour maintenir les communications libres avec la rive droite du Rhin, assurer le ravitaillement permanent de la citadelle par le pont et de la ville par la citadelle, en admettant que l’armée républicaine pût maîtriser et réprimer la levée des catholiques et commencer le siège de Strasbourg.


IV.

Tandis que MM. de Vioménil et de Thessonnet risquaient obscurément leur tête pour tâter Luckner et entraîner M. de Courtivron, le prince de Condé, tenu au courant par la correspondance de son dévoué lieutenant, mais ne sachant pas encore le dernier mot de cette périlleuse aventure, lui écrivait d’Oberkirck, le 14 janvier 1792, la curieuse dépêche que voici :


Je vois par votre lettre, mon cher Vioménil, que rien n’est encore fait, mais que rien n’est encore perdu. Votre lettre (est parfaite et a dû faire effet; mais je crois qu’il eût été mieux que vous leur envoyassiez un plan de votre façon que d’attendre le leur. Il est incroyable que T. (Thessonnet) n’ait pas encore vu S.-P. (Saint-Pol), et ne l’ait pas rallié aux autres, ainsi que les chefs de S. (régiment de Salm-Salm), On m’a assuré aujourd’hui que, suivant mes anciennes notes, les trois quarts de ce régiment étaient bons ; ce qu’on m’avait dit hier m’avait bien étonné.

Je vous confie à vous seul, car il ne faut pas compromettre l’homme, que le chef de la régence de Fribourg, tout en parlant comme l’empereur le lui a ordonné, a dit à part à l’a. d’É. (l’abbé d’...?) : Si le prince de Condè trouve le moyen d’entrer sans nous, j’en sauterai de joie tout seul dans mon cabinet.

Enfin! ces chefs arrangent mal leur plan, je le vois; mais il paraît qu’ils ont bonne volonté, voilà pourquoi je crois que vous les décideriez en leur mâchant leur besogne.

Vous avez avec vous l’homme pour Paris; n’oubliez pas de le faire partir la veille du jour qui sera convenu, c’est-à-dire vingt-quatre heures auparavant, mais pas plus tôt, et seulement quand vous aurez la certitude.

Faites sentir aux chefs que la chose va devenir publique et qu’ils n’ont plus qu’à choisir entre la honte et la punition d’un côté, et la gloire et les récompenses de l’autre. J’imagine qu’ils savent bien que j’ai l’autorisation des princes dans ma poche.