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à passer en Piémont ou en Suisse[1]. Les princes eux-mêmes, quittant Turin, se rendirent en Allemagne, où ils espéraient rencontrer des ressources plus sérieuses et des volontés plus solides.

L’exécution du marquis de Favras (18 janvier 1790) donne une plus vive impulsion au départ des gentilshommes qui se sont compromis à Paris ou en province. La suppression des droits féodaux amène l’éviction légale des princes allemands possessionnés en Alsace; les gouvernemens étrangers se sentent pour la première fois touchés par cette agitation sociale qui semblait jusque-Là devoir se concentrer dans les limites du royaume ; l’empereur d’Autriche réclame et proteste. Simultanément, le comte d’Artois, le prince de Condé et le prince de Rohan lèvent des soldats dans les provinces rhénanes et en confient le commandement aux officiers émigrés. Worms devient le centre de la formation militaire de ces troupes, Coblentz la capitale de la contre-révolution et le siège politique du gouvernement des princes.

Rien n’est plus instructif, au point de vue philosophique, que cette comparaison des deux sociétés en présence, dont celle qui semblait la mieux organisée pour la résistance recule devant les audaces de sa rivale. Le parti royaliste, disloqué, sans direction, sans vues arrêtées, laissait tomber en débris le principe d’autorité dont il n’était plus que le dépositaire impuissant. Les chefs de la révolution, au contraire, pleins d’énergie et de volonté, exaltés à cette pensée qu’il leur avait suffi de toucher à ce vieil et majestueux édifice de la monarchie française pour en ébranler les colonnes, ne rencontrant que le vide derrière ces imposantes images, ressaisissent les traditions d’unité, de centralisation, d’expansion rayonnante qui caractérisèrent les grands règnes de notre histoire et font au nom du peuple ce que Suger, Louis XI, Richelieu, Colbert avaient fait au nom du roi. Tandis que les royalistes déconcertés désertent la lutte sous prétexte de fatalité, d’irrésistibles enchaînemens des circonstances, les révolutionnaires font table rase et bâtissent sur le roc.

Le complot qui avorte brusquement à Varennes (20 juin 1791), révèle en même temps les rivalités de la cour, les intrigues de l’abbé de Calonne et du baron de Breteuil, les engagemens secrets pris par l’Autriche. L’émigration est devenue un péril public; l’assemblée la signale comme antipatriotique, donne deux mois aux émigrés pour réintégrer leur domicile, taxe au triple de l’impôt les propriétés des récalcitrans. Le comte de Provence a pu fuir; il gagne Bruxelles, puis s’installe à Coblentz; le prince de Condé fait de Worms le quartier-général des royalistes. Les esprits

  1. Histoire de Savoie, d’après les documens originaux; Paris, Didier, 1869, tome III, 136.