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les strates sédimentaires, si bien qu’on en a pu comparer la disposition à l’épanouissement des épis d’une gerbe fortement serrée vers sa base. Plus d’un géologue a tenté d’expliquer la structure en éventail des protogines du Mont-Blanc, depuis Saussure, qui le premier les a décrites, jusqu’à M. Lory, qui les regarde comme les débris d’une voûte refermée sur elle-même, dont le sommet aurait disparu et dont les pieds-droits seraient seuls restés en place. Les expériences de MM. Tresca et Daubrée permettent une interprétation plus simple. Granités ou protogines, écrasés sous le poids de l’écorce rompue et ne pouvant trouver aucun vide au-dessous d’elle, ont dû, pour se frayer un passage entre les bords de la crevasse, se laminer d’abord pour s’épanouir au-delà, comme le plomb ou l’argile s’étalent en bavures divergentes au pourtour des pièces qui les compriment. Au centre, où le glissement s’est prolongé davantage, l’effet est naturellement plus prononcé que sur les bords, qui ont échappé les premiers; et cette analogie avec les faits de l’expérience est encore justifiée par la schistosité qu’ont acquise au voisinage les roches et même les sédimens en participant plus ou moins au laminage. Les massifs montagneux portent ainsi dans leur structure intérieure un témoignage irrécusable des écrasemens et des glissemens qui les ont fait surgir ; et ce n’est pas sans raison que M. Daubrée les compare à ces appareils enregistreurs de nos laboratoires sur lesquels les phénomènes viennent se graver eux-mêmes.

Les eaux thermales, en circulant pendant plusieurs siècles à travers les ruines des maçonneries romaines, nous ont offert, pour la genèse des minéraux et des roches, une sorte d’expérience faite spontanément par la nature. Les glaciers, à leur tour, dans leur mouvement incessant, reproduisent sous nos yeux la plupart des faits que révèlent la torsion, l’écoulement et le laminage des corps solides. Les fissures si nombreuses qui, sur chaque côté, s’alignent en deux systèmes obliques entre eux et sur la rive, sont dues d’après M. Tyndall à l’inégale vitesse des diverses parties du glacier, c’est-à-dire encore à des torsions comme celles que nous avons mises en jeu. Les bandes bleues et la structure veinée naissent, au dire de Forbes, du laminage provoqué dans la masse par le retard que le frottement fait éprouver aux couches du fond et des bords. Souvent enfin, près de l’extrémité frontale, à la Mer de glace par exemple, toute entaille semble ouverte dans un gneiss gris et schisteux, dont les lamelles de mica noir se rangent en ondulations parallèles. C’est qu’en effet les poussières de granité quartzeux et d’esquilles schisteuses, qui en amont tombent sur le glacier et le salissent, sont entraînées peu à peu dans son intérieur par la